Dark Night

Dark Night

~ Tome 1 ~


~ Chapitre 5 ~

Chapitre 5 :

Thérapie

 

 

D'abord, il y eut le froid. Puis soudain, plus rien, que cette impression d'être entourée et paralysée dans de la glace. Je ne sens rien. Je n'entends rien. Je ne sais pas ce qui se passe, et je ferme à nouveau mes yeux, attendant que quelque chose arrive. Sans aucune idée de ce qu'il peut se passer, je patiente, immobile, jusqu'à ce que le sommeil m'emporte.

 

++++

 

-...tant qu'elle n'a pas ouvert les yeux.

Lentement, mes paupières laissent place à la lumière du jour. Mes pupilles encore fatiguées essaient de distinguer l'endroit où je me trouve, sans succès. Pourquoi ai-je l'impression de reconnaître ces murs blancs et ces draps couleur de neige ?

Mon esprit encore embrumé a dû mal à réfléchir. Mais je sais bien que cet impression de déjà vu n'est pas sortie de mon imagination.

Au-dessus de moi, l'homme se lève et sourit, dévoilant des dents non alignées et jaunies par le temps. Une barbe grise de quelques jours pousse sur son menton, renforçant son regard gris acier. C'est un homme de presque cinquante ans qui se trouve au-dessus de moi, presque chauve. Ses quelques cheveux gris se battent entre eux pour savoir où prendre place sur son crâne dégarni.

Mes yeux distinguent la plaque qu'il porte sur sa chemise :

 

CHARLES BRUCES BROWNING

PSYCHIATRE

GREEN HOSPITAL

 

Non !!! Je dois rêver, ce n'est pas possible...Je ne peux pas être revenue à la case départ. Pas dans cet horrible asile !

Je ne sais même plus où j'étais la veille, avant de m'endormir. J'ai un mal de crâne horrible, comme si quelqu'un serait ma tête dans un étau, suffisamment pour que je souffre mais qu'elle n'explose pas. J'ai affreusement froid.

-Qu'est ce que je fais ici ? Demandé-je en me redressant, ma tête entre les mains.

-Vous êtes là où vous auriez dû être hier soir. A l'hôpital.

Il se redresse et se dirige vers un petit bureau, où il récupère un dossier.

-Selon les enregistrements d'hier soir, la dénommée Morgane Blacks serait sortir de sa chambre à 20h49, avant de rejoindre la salle informatique. Nous avons ensuite retrouvé vos traces devant notre hôpital, presque une heure après. Vous êtes partie en ville, et, après avoir alertée la moitié d'un commissariat, nous vous avons repêché dans la rivière Henrisson. Le niez-vous ?

Je me souviens alors des mots de Cassandra. Si c'est bien ton premier jour ici, il devrait te placer en test et laisser ta porte ouverte. Je te conseille de faire donc attention quand tu sortiras pour ne pas être vue. Si tu suis bien mes instructions, il ne devrait pas trouver que tu es un cas grave.

Quelle a été mon erreur ? Qu'est ce qui a pu faire que j'ai été vue ? Mes souvenirs me reviennent lentement en tête.

Tout. Le bruit de mes pas, la lumière, mes amis qui sont venus me chercher, notre course dans les couloirs. Tout a permis de me faire repérer. Lena avait raison...Je suis la fille la moins discrète du monde.

Cela ne sert à rien de nier. Ils ont des preuves. Et même si je n'ai pas le souvenir d'avoir ameutée la police ou même d'avoir été ramenée jusqu'ici, c'est ce qu'il s'est passé. Heureusement, ils ignorent ce qu'il s'est passé dans la forêt.

-Non. C'est la vérité.

D'ailleurs suis-je bien sûre de ce que j'ai pu y voir ? Tout cela n'avait rien de réel. En y repensant, j'ai l'impression d'avoir rêvé. Les mots que j'ai entendu, la soudaine apparition de Thilas, la vitesse de course de ces gens....Peut-être qu'ils ont raison, que je suis vraiment folle, que j'ai ma place ici. Peut-être que, comme BabyDoll dans Sucker Punch, j'ai trop d'imagination, et je m'en sers pour m'échapper. Je ne sais pas. Je suis perdue dans ma propre tête.

-Au moins, vous êtes un minimum lucide.

Il se lève de sa chaise tournante et se rapproche de moi. Son regard se plonge dans le mien. J'essaie d'y voir une once de chaleur, de pitié, mais il est complètement froid, vide d'émotions.

-Nous n'étions pas censé en arrivé à ce stade aussi vite. Nous allons devoir accélérer votre traitement, déclare-t-il enfin au bout d'un moment, d'un air posé, calme et qui se veut rassurant. Votre thérapie commencera dans une heure. Je vous conseille de réfléchir à vos actes d'hier soir en attendant mon retour.

Il quitte la pièce par l'unique porte. Avant même que la pensée de quitter la pièce après lui me soit venue à l'esprit, le bruit habituel de la clé dans la serrure retentit.

J'ai une heure.

 

++++

 

Cassandra observe le mur face à elle. Le même mur gris qui avait été là depuis près de dix ans. Ces même traces de poussière le long de la plainte, qui commencent à s'entasser et à former de plus gros moutons. Sur sa droite, il y a son lit, fait au carré, dont les draps étaient blancs, qu'elle venait juste de quitter.

Elle est assise et attends. Elle sait qu'ils viendront bientôt la chercher, encore, comme chaque semaine, lorsque neuf heures sonneront. C'est toujours la même chose, les mêmes phrases, en boucle. Les mêmes histoires de traitement, les mêmes « infirmiers » qui l'emmenent dans ces mêmes couloirs blancs, trop blanc, bien trop blanc pour elle. Toujours la même chose.

Sa vie n'était qu'une succession d'événements identiques en tout point, un cycle éternel qui ne se finissait jamais. Pourquoi restait-elle en vie ? Elle avait cherché longtemps une raison, et elle l'avait trouvé la vieille. L'espoir. L'espoir de revoir un jour la lumière naturelle de l'extérieur, de sentir l'air frais sur son visage, le vent dans ses cheveux. L'espoir de s'échapper de cet endroit maudit qui la retient prisonnière depuis bien trop longtemps. Elle veut juste être libre de cet asile où elle n'a pas sa place. Elle n'est pas folle, et elle le sait. Sa seule erreur a été de ne pas savoir se contrôler. C'était il y a si longtemps...

 

-Il l'avait cherché ! C'était de sa faute !

L'infirmière et la directrice de l'orphelinat se dressaient devant elle. Si la première tremblait en regardant la petite fille qui se trouvait devant elle, la directrice, elle, gardait son calme et la fixait d'un air sévère, le regard dur et froid.

-Peu importe Cassandra. Ce que tu as fait est pire que mal. Et tu sais ce que ça signifie pour toi. J'ai tout fait pour te trouver des excuses, pour te permettre de rester, mais s'en est trop.

La petit fille avait les larmes aux yeux. Oui, elle savait ce que cela signifiait. Mais Oliver l'avait mérité. Il avait mérité ce qui lui était arrivé autant que les autres. Tous, tous les autres enfants de l'orphelinat, ils murmuraient dans son dos, répandaient des rumeurs, l'insultaient de monstre, d'être inhumain. Elle était haïe par tous. Même les adultes l'évitaient, s'éloignant dans les couloirs.

Elle avait su garder son calme. Les ignorer, s'asseoir seule dans un coin de la bibliothèque et lire, sans penser à ça. Mais Oliver avait été trop loin. Il avait mérité sa mort.

-Je sais ce que cela veut dire, Mme Harries. Je pars.

Elle avait hoché la tête, sans émotion sur son visage. Pas de traces de colère, de pitié ou de tristesse. Rien. Ce même visage neutre et fermé qu'elle avait toujours eu.

Le soir même, Cassandra quittait l'orphelinat du nord de Chicago, un maigre sac à dos sur le dos, ni triste ni heureuse.

Elle avait été abandonnée deux fois par le monde en six ans de vie.

 

Trois ans plus tard, après avoir vécu dans les rues durant des années, elle avait été prise la main dans le sac, lors d'un vol sur l'étal d'un primeur. Emmenée dans un commissariat, elle s'était retrouvée face à M.Hendrix, chef de la section de ce quartier d'Orlando. Après maintes recherches sur le passé de la mystérieuse enfant de neuf ans, il avait réussi à trouver des traces d'elle dans un orphelinat au nord de Chicago. Sa disparition soudaine n'était pas expliquée, et Cassandra refusait de répondre aux questions du commissaire.

Au bout de deux heures de questions sans réponse, M.Hendrix avait conclu que cela ne servirait à rien, et que Cassandra irait en maison de correction, au moins jusqu'à sa majorité. Ce qu'il adviendrait d'elle après ne le concernait pas. A priori, d'après le nombre de plaintes portées dans ce quartier ces trois dernières années, elle écoperait de deux ans de prison à peine, moins si le juge était de bonne humeur.

Alors qu'il allait quitter son bureau pour passer un coup de fil, Cassandra avait ouvert la bouche. Sa voix était faible, tremblante.

-Il l'avait mérité. C'est tout. Ils l'avaient tous mérité. Il avait été le premier, mais il y aurait pu en avoir d'autres.

M.Hendrix, piqué de curiosité, et, se demandant enfin s'il aurait les réponses à ses questions, était revenu s'asseoir à son bureau. La jeune fille le fixait de ses yeux bleus ciel comme emplit d'orage. On aurait dit qu'elle était en colère, qu'elle brûlait de rage à l'intérieur.

-Qui ? Qui a mérité quoi ? Pourquoi ?

-Je ne suis pas un monstre. Je ne suis pas un monstre ! Je n'y peux rien si je suis comme ça, si je brûle chaque personne que je touche ! Je ne suis pas un monstre ! Je n'ai rien fait pour être comme ça ! Et mes parents ne m'ont pas abandonné pour ça !

M.Hendrix ne comprenait rien à ce que racontait l'enfant face à lui. Elle ne faisait que crier des phrases dont il ne saisissait pas le sens.

Cassandra pleurait. Chaque phrase qu'elle prononçait sonnait comme ces derniers mots, tant elles étaient hachées, criées avec toute la force que pouvait contenir ses petits poumons. Elle était désespérée, comme sur le chemin de la dépression. M.Hendrix aurait pu l'aider, mais Cassandra s'était éloignée de lui lorsqu'il a voulu prendre sa main.

-Ne m'approchez pas ! Vous le regretterez ! Comme eux tous ! Allez tous brûler en Enfers !

Alors que la jeune fille scandait ses derniers mots, le commissariat vola en éclat. Les murs explosèrent, les vitres éclatèrent en milliers de morceaux de verres. Les voix des dizaines d'officiers résonnèrent comme un seul cri alors que la vie les quittait.

Des décombres, on ne retrouva qu'une survivante, évanouie, couchée sous une planche de bois, immobile, sans aucune blessure physique apparente.

 

Cassandra poussa un soupir lorsque la porte s'ouvrit derrière elle.

-Mademoiselle White, veuillez me suivre. C'est l'heure de suivre la procédure de votre traitement.

Elle se redressa. Qu'elle le veuille ou non, ils l’emmèneraient quand même sur cette maudite chaise, une fois de plus.

Elle voulait sortir. Et s'échapper au plus vite de ce lieu. Elle savait que Morgane l'aiderait. Elle l'avait vu dans ses yeux la vieille, lorsqu'elles s'étaient rencontrées au tournant d'un couloir. Morgane l'aiderait à sortir.

Elle avait voulu sortir la vieille, s'échapper par cette fenêtre dans la salle informatique, pouvoir respirer l'air de dehors. Elle l'avait voulu plus que tout, mais elle l'en avait empêché. Elle lui avait dit de rester à l'intérieur. Cassandra n'arrive pas à lui désobéir. Elle est complètement sous son emprise. Depuis combien de temps était elle là ? Cassandra l'ignorait. Mais elle savait qu'un jour elle arriverait à la vaincre, à sortir.

Mais pour le moment, elle allait encore souffrir.

-Allons-y.

 

++++

 

Chercher un moyen de s'échapper s'était avéré bien moins long que je ne le pensais. La porte était fermée. Et il n'y avait pas de fenêtre. La possibilité d'une porte secrète sous le lit m'aurait étonnée, mais j'ai quand même vérifié.

Il n'y avait rien. Pas un seul moyen de sortir d'ici.

Pendant une heure, je suis restée assise sur le lit, à observer la poignée de la porte, attendant qu'elle tourne enfin, annonçant le début de ma thérapie. J'aurais pu lire mon dossier, mais le Dr. Browning l'avait emmené avec lui.

J'avais l'impression que les minutes devenaient des heures. Si je ne voulais pas savoir ce qui m'arriverait une fois de l'autre côté de cette porte, je refusais de rester ici indéfiniment. Je ne supporte pas l'idée d'être enfermée. Je préfère encore être abandonnée sur une île vierge plutôt que dans une pièce minuscule remplie de tas d'objets pour passer le temps.

-Il est temps, Mademoiselle Blacks. Suivez-moi.

Je suis sortie de la chambre, le cœur battant, à peine étonnée de voir les même couloirs que la vieille, désert de vie.

-En quoi consiste mon traitement ?

Le Dr. Browning n'a pas répondu. Il a continué de marcher, me guidant dans le dédale de couloirs. J'aurais pu le quitter, aller dans les autres couloirs, mais, à quoi bon ? Ils m'auraient retrouvés, et je me serais juste perdue. Cela n'aurait fait qu'aggraver mon cas.

Je n'ai pas l'habitude de baisser les bras, de me résoudre à mon sort, mais, aujourd'hui, mon avenir ne m'intéresse plus. C'est comme s'il s'était envolé, effacé, sans être arrivé. Je me fiche de savoir ce qu'il m'arrivera. Si je dois mourir ici, je mourrais ici. Il n'y a que quatre personnes qui savent que je vis encore. J'ai disparu de la surface de la terre.

Le docteur me mène vers un ascenseur. Lorsque les portes se referment, je le vois appuyer sur les boutons d'un digicode. Il n'y a pas d'indications d'étages dans la cabine. Seules les douze touches du clavier sur lequel appuie Charles. Je n'y fais pas réellement attention. Je sais que je ne retiendrais pas l'ordre. Ma mémoire n'est pas ce que l'on pourrait appeler « développée ».

Les portes s'ouvrent et le docteur me prends par la main. Ici – je suis incapable de dire où nous sommes, mais certainement sous terre – il n'y a pas de couloirs, seulement des passerelles grillagées en fer, disposées à différent niveaux. Lorsque je me penche au-dessus du vide pour voir jusqu'où va la fosse que nous surplombons, je n'arrive pas à en voir le fond. C'est extrêmement profond. Tellement que j'en ai presque le vertige, alors que le vide ne m'a jamais effrayé.

Nous tournons à droite, dans un corridor sombre éclairé au néon. Ceux-ci dégagent une étrange lumière verdâtre, un peu surnaturelle. Une porte s'ouvre au fond, avec un claquement. Un infirmier portant des gants en sort, tirant par le bras quelqu'un que je n'arrive pas à distinguer de là où je suis. Quelques secondes après, un deuxième infirmier en sort, poussant la jeune fille. Elle est de dos, mais ces cheveux blonds ne me trompent pas. C'est Cassandra.

-Lâchez-moi ! Je vous dis que c'est impossible ! C'est de la folie pure !

Elle s'agite en tous sens, se débattant pour que les deux hommes la libèrent. Plus je m'approche, plus elle m’apparaît folle. Ses cheveux sont en bataille, elle a des larmes sous les yeux et ces derniers sont...comme perdus, désespérés. Fous.

Lorsque son regard croise la mien, ses yeux bleus s'ouvrent plus grand encore, accentuant l'effet de folie, et elle se jette sur moi avec une force dont je ne la croyais pas capable.

-Morgane, ne crois pas ce que tu va voir ! C'est faux, c'est faux !!! Ils nous manipulent, nous mentent ! C'est de la folie, c'est impossible ! Promets moi de ne pas les croire !

Les deux infirmiers rattrapent Cassandra, et la hissent dans leurs bras pour l'emmener dans la direction opposée. Ses yeux me lancent des éclairs de détresse, et, ne sachant quoi faire pour l'aider, je lui promets. Le Dr.Browning pose une main sur mon épaule.

-Ne prêtez pas attention à ce que dis cette fille. Elle est dans cet hôpital depuis presque dix ans et nous n'arrivons toujours pas à la guérir.

Si je n'avais pas rencontrer Cassandra la vieille, j'aurais pu le croire. Malheureusement, ce n'est pas le cas. Et j'ai plus confiance en elle qu'en cet homme qui m'est inconnu. J'espère pour elle que ça ne fait pas réellement dix ans qu'elle est ici....Au bout d'une journée, je n'en peux déjà plus d'être enfermée dans ce lieu où tous les couloirs se ressemblent, où il n'y a rien à faire, où il n'y a personne avec qui parler. C'est oppressant, et on se sent horriblement seul et inutile.

Je ne sais pas contre quoi Cassandra vient de me mettre en garde, mais ça ne présage rien de bon quant à ce qui se trouve derrière cette porte où me mène Mr.Browning. Je ne sais pas à quoi m'attendre, mais j'ai promis à Cassandra de ne pas croire ce que je verrais. Mais qu'est ce qui se trouve derrière cette porte au juste ? Je ne pense pas avoir réellement envie de le découvrir...

Mr. Browning pousse la porte, qui s'ouvre sur un cabinet médical silencieux. Il est éclairé par les même néons que ceux du couloir, qui donne un aspect spectral au lieu. Un écran se trouve sur le mur, éteint. Sur la gauche, il y a un bureau, et Mr. Browning y prend place. Un siège ressemblant vaguement à un étrange mélange entre une chaise électrique et une chaise de dentiste se trouve au milieu de la pièce. D'un geste, le docteur m'invite à aller m'y asseoir. Je jette un regard de dégoût au siège. Des dizaines de fils et de tuyaux pendent sur les côtés de la chaise, ainsi que deux attaches. Je préfère ne pas poser de questions, même si des centaines me passent à l'instant à l'esprit. Je ne veux pas savoir ce qui m'attends. Cela ne ferait que m'effrayer encore plus.

Je prends place sur le siège, à moitié allongée, la tête sur le repose-tête. Mon champ de vision se limite au plafond, sur lequel cours des tuyaux de toutes tailles, sûrement pour la circulation de l'eau.

La porte s'ouvre à nouveau et je me redresse pour voir qui entre. Il s'agit d'un jeune homme aux cheveux châtains coiffé en brosse, vêtu de la même tenue blanche en vigueur ici. Il a l'air ennuyé d'être là. Ses gestes sont lents et peu dynamiques lorsqu'il pousse le chariot métallique devant lui. Différents instruments médicaux sont posés dessus, et je n'en reconnais presque aucun. Il ressort au bout de quelques secondes, me laissant à nouveau seule avec le docteur.

Celui-ci s'approche de moi, et me demande de me rallonger.

-Je vous remercie. Vous êtes une des rares personnes à ne pas poser de questions.

Peut-être parce que je sais que tu n'y répondras pas vraiment.

-Tenez vous tranquille, je vous pris. Cela ne durera qu'un instant.

Il accroche les sangles autour de mes bras, et place deux électrodes sur ma poitrine, ainsi que d'autres fils qu'il mets sur mes bras. Les questions se bousculent dans mon esprit, toujours plus nombreuses. Pourquoi m'accrocher ? Serait-ce dangereux ? A quoi servent les électrodes ? A quoi servent les instruments sur le chariot ? Pourquoi descendre aussi profond sur terre ?

-Je vous demanderai de rester immobile. La piqûre ne fera pas mal si vous restez calme.

Je colle ma tête contre l'appuie-tête et ne bouge plus, fixant le plafond. Je vois à peine la seringue entrer dans mon champ de vision et se planter dans ma tempe.

-Voilà qui est fait. Détendez-vous, et fermez les yeux.

Alors que je regardes les canalisations, ma vision devient floue et se brouille. Je clos mes paupières, et je me sens comme aspirée loin du siège.

 

++++

 

Ma première sensation est qu'il fait humide.

Je suis au milieu d'une clairière immense, en pleine nuit. La lune n'est pas pleine, mais elle éclaire assez la plaine pour que je puisse voir que je ne suis pas seule. Face à moi, à une centaine de mètres, plusieurs douzaines de personnes se trouvent, ordonnées en rang de douze. Ils portent des armes qui brillent sous les rayons lunaires.

-Vos ordres ?

Je me retourne vers mon interlocuteur. C'est une jeune fille, dont les cheveux sont teints en bleu électrique. Elle porte une tenue de combat en cuir, un arc dans la main et un carquois remplis dans le dos. Ses yeux sont déterminés et brûlent de rage. Derrière elle, une trentaine d'autres personnes, vêtus comme des guerriers tout droit sorti du Seigneur des Anneaux, patientent, en silence, en rangée de six.

-Appelez Tristan. Il est temps de commencer.

C'est comme si j'étais dans mon corps, mais que je ne contrôlais pas mes gestes. Chaque respiration, chacune de mes pensées n'est pas en accord avec mon corps. C'est comme si tout ceci n'était qu'une vision, une simulation. Et pourtant, tout semble réel. Je sens l'odeur des feuillages, je sens l'herbe sous les semelles de mes bottes, et le vent frais et humide. C'est tellement étrange...Je ne suis pas sûre de ce que je vois. Mais mes pensées n'ont pas le temps de diverger que tout se déroule d'un coup.

Au loin, on entends le son d'une corne de brume. En cherchant d'où elle vient, j'aperçois un homme en haut d'une falaise qui surplombe la plaine. A peine a-t-il fini de souffler dans la corne qu'une flèche vient se planter dans sa poitrine. Son corps tombe de la falaise et vient s'écraser à une dizaine de mètres de nous.

J'aimerais pousser un cri, mais mon moi de la simulation reste stoïque, comme si c'était normal. Elle lève le bras et ceux qui se trouve derrière elle -ou moi, je n'arrive plus vraiment à savoir- commencent à crier. Puis les deux camps courent l'un vers l'autre, comme dans ces batailles épiques de fin de films fantasy. Les armes s'entrechoquent, les cris s'entremêlent, le sang gicle, les corps tombent, la bataille fait rage.

Et, soudain, au milieu des combattants, au milieu de ces êtres qui se déchiraient pour une raison qui m'était inconnue, je l'ai vu, marchant vers moi au milieu de la foule.

-Thilas...

Ma voix est pleine de rage et de haine. Une haine que je ne me connais pas pour lui. Il n'en paraît pas surpris.

-Morgane, il faut que tu comprennes qu'ils t'ont menti, que tu as été mani...

-Tais-toi, entendre ta voix m'insupporte. Tu oses dire que c'est eux qui m'ont mentis et manipulés ? Qui a été le premier à me trahir, dis moi ? Qui a été le premier à me cacher la vérité ? Eux, ils m'ont expliqués, ils m'ont dit qui j'étais, ce que je devais faire. Et tu sais quoi ? Je n'écouterais pas tes excuses. Je vais faire ce que j'ai toujours dû faire.

-Que, que...dit-il en reculant, tremblant.

-Adieu Thilas.

Avec une détonation, la balle s'échappe du pistolet que je tiens dans les mains et vient toucher le jeune homme en plein torse. Il s'effondre au sol, et ne bouge plus. Son sang coule sur le sol, parmi ceux des autres victimes de guerre.

-La bataille est finie.

Les derniers combattants du camp adverse s'enfuient ou se rendent. Des cris de joie résonnent un peu partout sur le champs de bataille. Certains applaudissent, d'autres commencent déjà à boire à s'embrasser, comme si cette unique bataille signifiait la fin de la guerre.

Quant à mon moi, elle marche dans la clairière d'un air neutre, sous les acclamations de ses combattants. Elle se dirige ensuite vers le nord, dans les bois, et traverse une rivière. De l'autre côté de cette dernière se trouve un camp, illuminé par des dizaines de feux un peu partout entre les différentes tentes, de couleurs bleues et argents. Sans un mot, elle les longent, ignorant les cris de joie des vainqueurs. Elle monte sur une butte et s'arrête subitement et bande son arc. Je ne comprends pas ce qu'elle vise, mais elle tire dans un des arbres. Au bout de quelques secondes, une silhouette féminine apparaît des buissons, un masque tribal sur le visage.

Lorsqu'elle parle, sa voix est rauque, presque masculine. Impossible de la reconnaître.

-Tu l'as fait ?

Elle hoche la tête.

-Bien. Suis-moi. La cérémonie est prête.

La jeune fille au masque nous guide dans la forêt, jusqu'à une petite clairière, où se trouve une sorte de bûcher.

-Tu es sûre de vouloir le faire ?

-Sûre et certaine.

Mon moi s'avance vers le bûcher et vient s'y placer, tandis que la jeune fille au masque s'approche avec une torche de la base du bûcher.

-Bonne chance.

Derrière son masque, elle commence à marmonner dans une langue incompréhensible, avant d'enflammer le bois. Les flammes grimpent à une vitesse folle, mais c'est la fumée qui me prends en premier, à la gorge. Je commence à tousser, à cracher mes poumons. Je suffoque, alors que les premières flammes ne m'atteignent pas encore. La température augmente, et je commence à suer. La voix de la fille au masque devient de plus en plus forte, et plus elle monte, plus les flammes montent avec elle, m'encerclant complètement. Entre chaque aspiration et éternuement, je cries, sentant ma chair se faire dévorer par le feu.

 

++++

 

-Ce n'est pas possible....

Charles n'arrivais pas à quitter ce qui restait de l'écran des yeux. Il ne croyait pas ce qu'il venait de voir. C'était incroyable, extraordinaire, inouï !

L'alarme incendie se déclencha alors, et il revint sur terre. La machine venait d'exploser. Toutes ces années de travail venaient d'être réduites à néant, mais il avait réussi sa première mission. Il l'avait trouvé. Enfin. Avec la récompense, il pourrait continuer ses recherches, toujours plus loin.

-Dr.Browning ! Que faites-vous ? Il y a un incendie, il faut quitter l'étage immédiatement ! Un fusible s'est cassé dans la salle voisine !

C'était le nouveau stagiaire. Il ne comprenait rien à ce qui venait de se produire. C'était un miracle, une révolution. Il était trop jeune pour réaliser l'enjeu de ce qu'il se passait ici. L'avenir du monde, ou de ce pays du moins, venait d'arriver sous ses yeux.

-Mr.Kingston, emmenez la jeune fille dans la salle du bas, avec l'autre. Surtout, ne la laissez pas sortir. J'ai à faire.

Alors que le stagiaire Kingston défaisait les liens de la jeune fille et tentait de la réveiller, Charles quitta la pièce précipitamment.

-Elle ne se réveille pas !

Mais Kingston parlait dans le vide. En courant, il partit chercher une civière, et réussit à hisser la jeune fille brune dessus. Ne pouvant prendre l'ascenseur, il dut se résigner au monte-charge manuel qui se trouvait au bout du couloir. Il ne comprenait pas ce qu'il venait de se passer, mais il savait une chose.

Ce qu'il se passait ici n'avait rien de normal.

 

++++

 

Je suis réveillée par la toux d'une personne. Mes paupières s'ouvrent lentement, mais je ne vois pas de différence. Il fait toujours aussi sombre. Le noir total. Et l'humidité. Il fait froid, et je sens presque les gouttes d'eau sur le sol. Les toussotements reprennent encore, plus fort maintenant que je suis éveillée.

Je me dirige vers eux comme je peux, longeant le mur d'une main, à quatre pattes sur ce sol mouillé.

-Qui êtes-vous ? Fait la voix en toussant une fois de plus.

-C'est Morgane, dis-je, reconnaissant la voix de Cassandra malgré la toux. C'est Morgane, Cassandra, tout va bien.

Je ne sais pas vraiment à quoi cela sert de lui dire que tout va bien. Rien ne va bien. Je ne sais pas où nous sommes. Je ne sais pas pourquoi nous sommes ici. Je ne sais pas ce qui nous arrivera quand on sortira.

Je m'approche d'elle. Sa peau est glacée. Depuis combien de temps est-elle là, enfermée dans ce taudis ?

-N'essaie pas de me rassurer, réplique-t-elle en toussant encore. Tu sais aussi bien que moi que ça ne va pas bien.

Même dans l'obscurité, je sens son regard sur le mien.

-Dis-moi, Morgane, tu y as cru ? Dis-moi que non. Je t'en supplie.

-Non, je n'y ai pas cru. Mais qu'est ce que c'était ?

Cette vision paraissait tellement réelle...Comme si elle était déjà arrivé. Je ne sais pas ce que je dois ressentir. C'était tellement...je ne trouve pas les mots pour dire ce que j'ai ressenti face au carnage que j'ai vu, et à la dureté et la froideur de mon regard lorsque j'ai abattu mon ex-petit ami. Ce ne pouvait pas être moi. Je ne suis pas comme ça. Et ce qui me trouble encore plus, c'est cette histoire de mensonge et de trahison, et d'identité. Qui suis-je ? Je pensais le savoir, mais maintenant...J'ai des doutes sur mes propres origines.

Et la fin de cette « simulation » ? C'est encore plus incompréhensible. Qui était cette fille ? Et pourquoi me suis-je retrouvée sur ce bûcher ? On aurait dit un sacrifice dans une secte satanique.

Mais ce qui me gêne le plus dans toute cette histoire, c'est que cette plaine entourée d'arbres, je la connais. Elle se trouve dans la forêt d'Henrisson, au nord de la ville.

-Je...Je ne l'ai découvert qu'il y a très peu de temps. Ils ont construit un truc révolutionnaire, et il le planque ici, en secret, c'est...

Elle tousse encore.

-C'est une machine qui dévoile l'avenir. Ce que tu as vu, c'était le futur qui avait le plus de chance de t'arriver.


24/02/2016
0 Poster un commentaire

~ Chapitre 4 ~

Chapitre 4

Le Cimetière

 

La grille grince légèrement lorsque je pénètre à l'intérieur. Comme je le pensais, tout est silencieux, et je dois être l'une des seules personnes assez folles pour oser m'aventurer dans un cimetière pendant la nuit.

 

Je ne sais pas vraiment pourquoi j'ai voulu venir ici. Pour me souvenir, pour être seule ou pour penser. Je repousse la grille pour empêcher d'autres gens de venir me déranger et je m'avance entre les rangées de tombes et de caveaux. Ce lieu funèbre a réellement quelque chose de macabre au milieu de la nuit.

 

Même sans savoir où mon frère et mes parents sont enterrés, je sais où se trouve notre caveau familial, le caveau des Blacks. Nous y allons toutes les deux semaines autrefois, pour déposer des fleurs en mémoire de nos grands-parents. Voilà deux ans qu'aucune fleur n'y a été déposé, sans personne pour penser à eux.

 

 

J'arrive devant le caveau, où je suis étonnée de trouver des petits mots et des lettres. Parmi eux se trouve ceux de Peter et Lena, ainsi que ceux des amis et collègues de mes parents. Tant d'attention pour les morts, tant d'amour dont ils ignoreront toujours l'existence.

 

Si presque toute ma famille est enterrée ici, notre caveau est certainement l'un des moins imposants de tout le cimetière, mais malgré tout l'un des plus vieux. Il paraîtrait que les Blacks vivent ici depuis la création de la ville, mais je n'y crois pas.

 

Connaissant par cœur l'endroit où l'on cache les clés, je me glisse derrière le caveau et soulève la fausse mousse, qui devient de plus en plus vraie à force du temps, pour ramasser les clés de notre caveau. Même après tout ce temps, elles sont à peine rouillées. Je replace la mousse au même endroit, comme si de rien était.

 

Je pousse la porte du caveau, grinçante, et je suis stupéfaite. A l'intérieur se trouve un bouquet de fleurs fraîchement coupées. Il a dû être déposé ici il y a très peu de temps, mais je ne comprends pas qui aurait pu savoir où se trouvait les clés. Je sais que la cachette n'est pas extrêmement géniale, mais encore faut il savoir que nous ne gardons pas les clés chez nous.

 

Peut-être que celui ou celle qui l'a déposé et encore là, dans le cimetière ? Je sors du caveau, encore perturbée et le referme. J'observe les environs, silencieuse. Je glisse les clés dans ma poche et commence à avancer vers le sud et la grille du lieu funèbre. Les allées, malgré tous mes regards scrutateurs, sont désespérément vides. Et si je vois quelqu'un, que vais-je faire ? Lui courir après ? Que vais-je lui dire ? Suis-je même certaine que cette personne sera celle qui a déposé le bouquet ?

Je me tourne vers la droite. J'ai entendu un bruit, j'en suis sûre, mais les ténèbres de l'allée L sont vides. Je me dirige dans l'obscurité, marchant entre les sépultures, faisant attention à ne pas marcher sur les pierres tombales.

 

 

J'entends à nouveau une brindille se briser sur ma gauche et en tournant la tête, j'aperçois une silhouette entre deux arbres, presque floue. Je n'arrive pas à savoir s'il s'agit d'un homme ou d'une femme, car elle porte une cape. Quand la silhouette s'aperçoit que je la regarde, elle commence à courir.

 

-Hé ! Attendez !

 

Mais elle est déjà bien trop loin.

 

 

Je commence à courir, sans savoir si j'arriverais à la rattraper. Elle court bien plus vite que moi, et, même si mes jambes ont retrouvés leur vitalité, je ne suis pas comme Lena. L'endurance et la vitesse n'ont jamais été mes plus grandes qualités.

 

En tournant sur la droite, je rejoins l'allée principale et je l'aperçois, courant vers le nord, à un peu plus de cinquante mètres. Ses pieds vont de plus en plus vite et j’accélère, essayant d'atteindre ma vitesse de pointe. Mais j'ai beau tout faire pour aller vite, la personne me distance de plus en plus.

Le bout de l'allée est proche, et il ou elle disparaît entre les ténèbres des arbres. Je continue de courir, allant jusqu'au bout de mes forces. Mais quand je rejoins l'orée de la forêt, la personne a complètement disparu. J'ai beau la chercher du regard, il n'y a nul mouvement dans la forêt.

 

-Ah, enfin...Depuis le temps que nous attendons.

 

La voix est masculine, assez grave pour que je puisse dire qu'il s'agit d'un adulte. Elle est plutôt proche, mais, cette fois-ci, j'ai le pressentiment qu'il ne me donnera pas de réponses. Je ferai mieux de partir avant que l'on ne me trouve.

 

Malheureusement, il semblerait que la seule issue, l'entrée du cimetière soit bloquée par le mystérieux homme, qui avance de plus en plus vite, à en croire le bruit de ses pas. Il ne me reste plus qu'à m'enfoncer dans la forêt en pleine nuit. Même si j'ai toujours aimé les deux, les associer à cet instant ne me paraît pas être la meilleure idée qui soit. Ça me paraît même être une très mauvaise idée, mais je n'ai pas le choix. Je suis épuisée, mais il faut que je continue de courir.

 

Reprenant courage, je commence à m'enfoncer entre les branches basse et les racines. La fatigue commence à se faire sentir dans mes jambes, et il faut que je trouve une solution de secours, un moyen pour être sûre qu'il ne me trouve pas.

 

 

Suis-je bête à ce point là ? Je suis entourée d'arbres, et quelle est la meilleure cachette si ce n'est leur feuillage ?

 

Je me dirige vers l'arbre qui m'a l'air le plus appropriée à l'escalade et m’agrippe à la première branche, avant de me hisser sur les autres. Contrairement à tout à l'heure, monter dans un arbre me fait moins peur qu'en descendre. J'atteins le feuillage de l'arbre plus rapidement que je ne le pensais. D'ici la vue est imprenable sur le sol, et je suis certaine qu'on ne me voie pas. De toute manière, mes vêtements sont trop sombres pour être vus avec la lumière lunaire.

 

L'homme, que je croyais seul, et en réalité accompagné d'une femme, d'âge adulte elle aussi, même si je n'arrive pas à savoir quels âges ils ont exactement tout les deux. Ils s'arrêtent tout deux un peu plus loin que mon arbre, et ils disparaissent de mon champ de vision, me laissant mon ouïe comme seul sens.

 

 

-Alors, c'est pour bientôt ?

 

La femme lui répond, d'une voix sèche.

 

-Oui. Ne sois pas trop pressé, il faut d'abord qu'il réussisse à la ramener jusqu'au camp.

 

Cette phrase me laisse perplexe. J'ai le sentiment de connaître ce « il » et cette « elle », et ça n'a rien de bon. Et comment ça, le camp ? Quel camp ? Je ne comprends rien à leur conversation, et pourtant, je veux continuer de les écouter.

 

Commençant à glisser, j'attrape la branche à ma gauche, légèrement au dessus de la mienne, pour ne pas tomber. J'aurais dû choisir un autre arbre, celui-ci est trop lisse.

 

D'autres personnes arrivent, vêtus tous de la même tenue : cette même cape noire cachant leur visage et leur corps qui m'empêche de les distinguer. Seule leur voix permet de les reconnaître. Ils se placent tous au même endroit, hors de mon champ de vision. Leur conversation devient de plus en plus étrange, parlant de plusieurs camps, de groupes, de secrets, et de tous un tas d'autres choses incompréhensibles.

 

 

Un hibou se pose alors sur la branche que je tiens dans la main gauche, la faisant trembler. Ma main glisse, entraînant mes jambes. Je me retrouve la tête en bas, ridicule, mais fort heureusement encore cachée par les feuilles. Je ne fais plus attention à ce que dise ces étranges personnes et tente, en vain, de me redresser. Le sang me monte à la tête, la rendant aussi lourde qu'une pierre. Mon cou peut-il se briser ? Je tends à nouveau les bras devant moi pour attraper cette fichue branche, espérant tant bien que mal y arriver. En dessous-de moi, il n'y a que le vide, et aucune branche à laquelle se rattraper. Ma seule chance de ne pas me faire avoir pas les mystérieuses personnes serait de remonter et de mieux tenir. Mais pour le moment, je ne fais pas attention à ce qu'ils disent. Je veux juste me rasseoir sur la branche et ne plus me balancer comme un singe.

 

Même le hibou se rit de moi, je le lis dans ses yeux. Il s'envole et rejoins au autre arbre, heureux de me voir tenter d'échapper à ce qui m'arrivera. Je n'ai presque aucun doute sur ce qu'ils me feront s'ils voient qu'il étaient espionnés. Vu le sujet de leur conversation, soit je ne reverrais plus jamais la lumière du jour, soit j'irais voir si les vers de terre s'amusent bien.

 

 

Je tente une dernière fois d'atteindre la branche, exténuée, et je mes jambes glissent à leur tour. Je tombe vers le sol, direction ma mort.

 

 

Peut-être que ce que dise les gens est vrai, que lorsque la mort arrive, on voie défiler sa vie devant les yeux, à grande vitesse, alors que nous sommes prêts à passer de l'autre côté. Mais moi, je ne vois rien, si ce n'est cette branche qui vient de causer ma perte.

 

Le choc me coupe la respiration, et je ferme les yeux en attendant la fin. Je ne veux pas voir leur visage, leurs expressions, ce qu'ils vont me faire. Je ne peux qu'attendre, et espérer qu'ils fassent vite.

 

Il ne se passe rien. Pas un seul bruit, pas une seule parole. Pourquoi ne font-ils rien ? J'ose soulever mes paupières. Même au milieu de la nuit, j'y vois comme en plein jour. Il n'y a personne. Pas un seul être pouvant causer ma mort. Ils ont dû partir pendant que je m'efforçais de remonter dans l'arbre.

 

Dois-je essayer de les trouver ? Je risque ma vie dans cette affaire, et je ne suis plus si sûre de vouloir comprendre quelque chose à cette histoire. De toute manière, ça ne me concerne pas, pas directement en tout cas. Je me relève, le dos encore douloureux de ma chute.

 

 

Quelqu'un arrive, en courant, et plutôt rapidement. Je plonge derrière un buisson en vitesse, espérant ne pas me faire voir. Il passe si vite que je n'arrive pas à distinguer son visage, juste sa silhouette. Moi qui pensais ne croiser personne en allant au cimetière!

 

Je n'ai plus que quelques secondes pour décider si je le suis ou pas. A quoi cela me servirait ? Je ne sais rien de ces gens, rien du tout. Et pourtant, je veux en savoir plus, encore et toujours. Un jour, je suis certaine, ma curiosité causera ma perte. Peut-être aujourd'hui, peut -être demain, mais, maintenant, je veux savoir de quoi il retourne.

 

 

Discrètement, je suis le garçon, restant à l'abri des arbres et buis qui bordent le « chemin ». Nous arrivons à la clairière, où se trouve une vingtaine de personnes, toujours couvertes de capes, en cercle.

 

 

L'homme que j'ai suivi les rejoins, et je me glisse dans l'ombre pour qu'ils ne me voient pas.

 

-Excusez mon retard.

 

Les autres tournent leur tête vers le nouvel arrivant. Étrangement, sa voix me dit quelque chose, mais je n'arrive pas à savoir de qui il s'agit.

 

-Ah te voilà enfin. Alors, dis-moi, tu la retrouvée ?

-Oui. Je ne tarderai pas à la ramener au camp.

 

Soudain, je manque de pousser un cri. Cette voix, je l'ai reconnue, comme j'avais reconnu ces yeux à l'asile.

 

 

Cette voix est celle de Thilas.

 

 

 

Cachée dans l'ombre, je n'émets pas un seul son. Je retiens ma respiration, tentant de devenir une ombre. Sous mes pieds, une brindille a craqué, alertant le groupe qu'une personne n'avait pas sa place ici. Même sans les voir, je sais qu'ils me cherchent du regard. Pour le moment, nous sommes tous immobiles, jugeant s'il faut aller voir ou pas. Mon dos ne bouge pas du tronc d'arbre derrière lequel j'ai trouvé refuge. J'ai peur. Je crois bien n'avoir jamais eu aussi peur de ma vie.

 

-Vous pensez que...

 

Celui qui a prononcé cette phrase est coupé. Ce qui suit ne me rassure en rien. L'un deux a commencé à s'avancer vers la forêt, et, même si le son me paraît loin, je sais qu'il ou elle s'approche de moi.

 

 

Mon cerveau carbure à pleine vitesse. Que faire ? Rester et espérer qu'ils arrêtent leur recherche ou partir en sachant qu'ils vont te poursuivre ? Je ne sais pas, je ne sais pas...Dans les deux cas, mes chances de survie sont faibles, et plus j'attends, plus elles baissent...

 

-C'est l'odeur d'une femelle.

 

L'odeur ? Comment ça l'odeur ? Ils me cherchent à l'aide de leur odorat ? Dans ce cas là, il n'y a aucune chance que je reste à les attendre sous l'arbre. Ils me trouveront tout de suite.

 

Il faut que j'arrive à me relever et à courir assez rapidement pour leur échapper – si j'ai une chance de pouvoir le faire. Prenant ce qui pourrait être une grande inspiration silencieuse, j'essaie de rassembler tout le courage que j'ai en moi. Il est temps pour moi d'y aller.

 

Je me lève et cours. Peu importe la fatigue, il faut que je cours. Même si je n'ai plus d'énergie, même si je suis épuisée, il faut que je mette le plus de distance entre eux et moi. Les branches me fouettent le visage, et je saute entre les racines, manquant de tomber à plusieurs reprises. Mon T-shirt s'accroche au ronces et, voulant m'en décrocher, j'en laisse un morceau sur les piques. Désolée Lena.

Je n'ose même pas regarder derrière moi pour voir où ils sont. Je sais qu'ils m'ont suivis. Il n'y aucun doute possible là-dessus. Mais je ne veux pas voir à quelle distance ils sont de moi. Je ne sais même pas où je vais. L'unique chose qui me permet d'avoir une idée de la direction, c'est le bruit. Dans le lointain, j'entends le bruit des moteurs. J'en ai déduis que j'allai vers le sud, en direction de la voie rapide.

 

 

La forêt devient moins dense autour de moi, et la luminosité augmente entre les arbres. J'approche de la civilisation. Je ne sais pas si c'est bon signe, étant donné que je les entends toujours derrière moi, mais je pourrais toujours trouver de l'aide quelque part. Au bar des frères Johns par exemple. S'il existe toujours...

 

« Allez, Morgane, cours. »

 

Je suis épuisée. Je n'ai plus aucune force. Mon seul moyen de leur échapper serait d'utiliser la ruse, ou toute autres manière d'éviter la confrontation directe avec ces gens.

 

La clameur des voitures se rapprochent. Je suis presque dans la ville. Il faudra juste que je passe au dessus du tunnel et du pont pour me retrouver dans le quartier touristique.

 

Le pont ?

 

La rivière ! Si je plonge dedans, je leur échapperais !

 

Mais je n'ai aucun moyen pour être certaine de survivre s'y je saute.

 

Derrière moi, j'entends leurs pas, si proche de moi. Il n'y a plus à hésiter. Il faut que je plonge dans l'eau, même si elle est glacée et dix mètres en-dessous de moi.

 

Je me stoppe, surplombant le vide. Je n'arrive même pas à voir l'eau. J'entends simplement son clapotis, si loin de moi. Oserais-je sauter ? Je grimpe sur la rambarde du pont, désert. Les profondeurs sont si noires...

 

Alors que j'hésite et me retourne, j'aperçois mes mystérieux poursuivants. Même de loin, j'ai l'impression qu'ils n'ont plus rien d'humain. Ils vont beaucoup trop vite, et si je n'agis pas maintenant, ils seront là dans dix secondes ou moins. Leur vitesse est beaucoup trop élevé pour un humain...

 

Et s'ils n'étaient pas humains ?

 

Morgane, tu n'as pas le temps de réfléchir ! Plonge avant qu'ils ne soient là !

 

Obéissant à mes pensées, je tends les bras et me laisse tomber en avant, fermant les yeux pour ne pas voir la rivière Henrisson devant moi...

 


24/02/2016
0 Poster un commentaire

~ Chapitre 3 ~

Chapitre 3

Virée Nocturne

 

 

 

Comme durant le reste de la journée, les couloirs sont vident. La lumière est faiblarde et clignote. Ils devraient penser à changer les néons des lampes où je serais bientôt plongée dans le noir total.


Silencieusement, mes pas glissent sur le sol, passé du blanc au gris à cause du peu de lumière. A chaque croisement, j'observe le plan pour savoir dans quelle direction aller. Il m'arrive parfois d'entendre de légers frottements aux alentours, mais rien qui puisse correspondre à un homme qui pourrait détecter ma présence. Je frôle les murs et observe chaque recoin sombre, guettant une source de lumière potentiellement dangereuse.


J'ai beau marcher, je ne croise aucune autre personne. Simplement des flashs de lumière au détour d'un chemin, inoffensifs. Mes pas sur le sol semblent faire trembler tout le couloir, tellement le silence est pesant. J'ai beau me faire légère, je fais toujours autant de bruit. Je n'ai jamais été connu pour être une fille discrète, et je le regrette aujourd'hui.


Cassandra aura-t-elle trouvé Thilas ? Ce serait tellement bien ! Quoique...en y réfléchissant, suis-je sûre de vouloir le revoir ? Je ne sais pas comment, mais je suis certaine qu'il est mêlé de près ou de loin au meurtre de mes parents. Même l'accident de Capucine et Liam ne me paraît pas naturel. Et si c'était réellement de sa faute ? S'il était mêlé à ça ? Je lui en voudrais à tout jamais...Il m'a arraché les êtres que j'aimais le plus au monde, comme un monstre. Je le hais...Liam et Capucine. Je vous vengerais. Je vengerais ma famille. Je te tuerais Thilas. Si tu as fait quelque chose, si tu as dit quelque chose, peu importe, je te tuerais de mes propres mains. Et ne crois pas que je pourrais encore t'aimer après une telle trahison.


Sans trop savoir quoi penser, j'entre dans la salle informatique, plongée dans l'obscurité. Je ne sais pas si je dois être heureuse ou en colère. Je ne sais pas encore quel est le rôle de Thilas dans cette histoire. Je ne dois pas le juger avant de l'avoir entendu parler. Je saurais s'il me ment ou pas.

 

La seule lumière de la salle est celle de l'horloge digitale, qui affiche en clignotant les nombres 21 : 02 en rouge. Je suis en retard, mais Cassandra n'est pas encore arrivée. Je vais en profiter pour essayer de me détendre l'esprit en fouillant la pièce.


Étonnamment, elle est plus remplie que je ne pensais. Elle ne doit pas être utilisée par les occupants de l'asile, j'en suis certain, seulement par les salariés de l'asile. Alors pourquoi Cassandra connaît-elle cette salle ? Cette fille est décidément entourée de mystères.


Je m'assois sur la première chaise que je trouve et commence à faire des tours sur moi-même, observant la pièce. Il y a cinq bureaux, sur lesquels sont posés deux ordinateurs. Dans un coin, trois canapés sont placés face à une télé. Il fait un peu sombre dans la pièce, mais je n'ose pas allumer la lumière, au cas où quelqu'un passerait dans le couloir. La lumière extérieure suffit à éclairer la pièce d'un éclat lunaire.


Deux minutes se sont écoulées, et Cassandra n'est toujours pas présente. Je me lève de ma chaise de bureau et me dirige vers la fenêtre pour observer le ciel nocturne. Il y a très peu de nuages, et, pour une fois, j'arrive à voir les constellations dans le ciel. Habituellement la pollution empêche de pouvoir les observer. Henrisson n'est pas connu pour être une ville propre, mais le vent venant du sud pousse parfois la pollution vers la forêt. Dans ces moments, j'aime regarder le ciel étoilé par la fenêtre de ma chambre. La nuit a toujours été mon moment préféré de la journée. Mais depuis qu'ils sont...Je ne sais plus trop si je peux encore dire que je l'aime. Elle n'a pas de rapport direct avec leur...Je n'ose pas dire ce mot...leur...


J'entends un bruit dans le couloir, et je quitte la fenêtre. Sans bruit, je me recroqueville sous un des bureaux, comme lorsque je jouais à cache-cache avec mes parents. Mon père faisait toujours semblant de ne pas nous voir, mon frère et moi, et nous ne pouvions nous empêcher de rire, cachés derrière la porte de l'armoire. C'était une époque magnifique. Mais malheureusement révolue. Je ne reverrais jamais mes parents, ni mon frère. Jamais.


Alors que la porte de la salle s'ouvre, je sens des larmes rouler sur mes joues, comme des gouttes de pluies sur une vitre. Je les chasse d'un revers de la main. Si je pleure maintenant, je serais repérée. Il faut que je pense au futur. Tous ces souvenirs ne feront que me faire souffrir plus.


Les pas se dirigent vers moi, et je retiens ma respiration. Ils contournent le bureau et s'en vont vers la fenêtre. J'observe, dans la pénombre, les jambes de celui qui vient d'entrer. Qui, à bien y regarder, serais plutôt elle d'ailleurs.


Je l'entends déverrouiller la fenêtre. Elle commence alors à siffler, si bien que j'ai réellement l'impression d'écouter le chant d'une chouette. Je ne sais qui lui répond, mais un autre sifflement perce la nuit. Plus grave et plus lointain.

 

-Sors de ta cachette Morgane, il arrive.

 

C'est la voix de Cassandra. Je pourrais la reconnaître entre mille. Comment c'est-t-elle que je suis ici ? Et ce il....serait-ce Thilas ?

 

Je sors de ma cachette, sans trop savoir si je dois être heureuse ou pas de le revoir. Mes sentiments sont partagés. Peut-être un peu trop d'ailleurs. Mes émotions se mêlent et s'emmêlent sans que je n'arrive à me décider.


-T'es en retard.

 

C'est la première phrase qui m'est venue à l'esprit en la voyant. A quelques mètres sur la droite de sa tête, l'horloge à avancer de cinq minutes supplémentaires.


-J'ai eu quelques problèmes pour sortir. Je ne suis pas nouvelle moi, j'ai besoin de tricher pour déverrouiller ma porte.

 

Je crois qu'il n'y a pas seulement ça. Elle a l'air assez maligne, et forcer une porte ne doit pas vraiment lui poser problème. Je pense qu'elle a aussi dû faire un détour à cause de quelque chose. Ou quelqu'un. Et j'espère que le sujet en question aura eu la politesse d'arrêter de la suivre.

 

Par la fenêtre ouverte, on entend un grognement, puis le bruissement des feuilles.


-Il arrive.

 

Par la fenêtre passe une main, puis une jambe, et enfin le corps d'un jeune homme. Il est brun et ses cheveux ont été coiffés à la va-vite, comme s'il est pressé. Élancé, on devine sa carrure d'athlète sous sa veste noire et son T-shirt gris. Quand ses yeux se retrouvent éclairés par la lumière lunaire, une lumière dorée y brille.


Thilas. Sans aucun doute possible.


-Alors c'est bien vrai ? Tu es vivante ?

 

Il a changé. Je ne dirais pas en mieux, ni en pire. Il est différent, plus fort, plus mature. Ça ce lit dans sa façon de se mouver, ses mots lorsqu'il parle. Thilas a grandi et est devenu un jeune homme. Il semblerait que j'ai raté beaucoup de chose durant mon coma. 


J'ai besoin de réponses. Et j'en ai besoin maintenant.


-Oui. Je suis devant face à toi, pleine de vie.

 

Je marque une pose, comme si je redoutais sa réponse.


-Pourquoi ? Pourquoi m'as tu laissé ce soir là ?

 

Imperceptiblement, il se mord la lèvre. Cela voudrait-t-il dire que...


-J'avais quelque chose de très important à faire et...il fallait que je le fasse immédiatement...Tout ce qui t'es arrivé n'a rien à voir avec moi et je regrette de n'avoir pu être là pour toi. C'était de la plus haute importance, et je...

 

Je brûle de rage. Ces excuses sont inacceptables à mes yeux. J'ai perdu tout ceux à quoi je tenais en l'espace d'un nuit, et je suis censée le pardonner aussi facilement ? Chacun de ses mots ne me fait que plus souffrir, me rappelant tout ce que nous avons vécu, tout ces merveilleux moments que nous avons partager. Et il a tout gâché.


-Plus haute importance ?! J'ai perdu tout ce qui comptais, et toi, tu avais quelque chose d'important à faire ? C'est tout ce que tu trouves à dire ? Tu m'as brisé le cœur Thilas, tu comprends ?! Je te hais !

 

Je me retourne, rouge de colère. Cassandra a, une fois de plus disparu. Comment fait-elle pour être aussi discrète, et, surtout, pour disparaître toujours au moment où on a besoin d'elle ?


Je sors de la pièce et manque de claquer la porte. Je me ravise. Ma colère ne doit pas ameuter tout l'asile.


Effondrée, je me laisse tomber au sol, appuyée contre le mur. Pourquoi ai-je réagi ainsi ? Je ne sais plus quoi penser. Tout se mêle dans mon esprit, et tout est confus...Je suis perdue, perdue...Je me sens seule et abandonnée, sans personne sur qui compter. J'ai besoin d'aide et je n'en veux pas. Je ne sais pas ce que je veux. Je suis désemparée, à croire que je ne veux plus vivre...C'est ça. Je ne veux plus vivre. Je n'ai aucun raison de rester ici, de penser que tout peux s'arranger. Rien ne pourra jamais s'arranger. J'ai perdu ma famille. Toute ma famille ! Il ne me reste plus rien, plus rien...Je suis seule, définitivement. Je ne sais pas ce que sont devenus mes autres amis, mais sans Capucine et Liam, rien ne sera plus jamais pareil. Plus jamais...Pourquoi suis ainsi maudite ?


Assise sur le sol, je pose ma tête entre mes bras et commence à pleurer. Ses larmes qui me brûlaient les yeux depuis des années méritent désormais d'être versées. Peu importe que cela ne serve à rien, que personne ne soit là pour me prendre en pitié. J'ai envie de pleurer, d'exprimer ma tristesse. Ma vie est pourrie, et elle le restera.


« Tu as finis de gémir pour un rien ? Tu n'es pas seule, et tu ne l'as jamais été. »


Je sursaute et relève la tête. Le couloir et vide. Pourtant, je suis sûre d'avoir entendu quelque chose, je n'ai pas rêvé.


-Qui est là ?

 

Je me remets debout, cherchant dans la pénombre une silhouette humaine. Mais il n'y a rien. Que l'écho de ma voix. Personne. Le silence. Comment est-ce possible ? Je suis pourtant certaine de ne pas avoir rêvée. 


Intriguée, j'essuie mes larmes et commence à avancer dans le noir. Comme une imbécile, j'ai laissé la lampe de poche et le plan de Cassandra dans la salle, et je me retrouve dans l'obscurité. 


-Il y a quelqu'un ?

 

Je ne peux m'empêcher de répéter sans cesse cette phrase. Comme dans ces films d'horreurs où un monstre horrible surgit sur la jeune fille sans défense et la mutile. Sauf qu'il ne devrait pas y avoir de monstre ici. On est dans le monde réel, pas dans une de ces daubes cinématographiques. Et je ne dois pas avoir peur d'avancer toute seule dans les ténèbres pour trouver quelqu'un.


Je sens une main sur mon épaule et je sursaute, surprise. 


-Tu comptes continuer de marcher longtemps encore ?

 

++++

 


-Qui es-tu ?

 

Je n'arrive pas à le reconnaître dans l'obscurité. Je suis déjà certaine qu'il ne s'agit pas de Thilas, car il ne porte pas les même vêtements. Mais de qui peut-il bien s'agir ? 


-Tu veux dire que tu ne me reconnaît vraiment pas ?

 

Je cherche...C'est dans ces moments qu'on se rend compte qu'on connaît beaucoup plus de gens qu'on ne le pense. Mais, à bien y réfléchir, qui viendrait jusqu'ici si ce n'est pas Thilas, ni Liam ?


-Peter ?

 

Même dans la pénombre, je le vois sourire. Je vois sa forme se mouver et ses mains attraper un objet dans son dos. Il allume la lumière et je mes paupières se ferment automatiquement.


-J'arrive pas à y croire ! Quand Thilas me l'a dit, je pensais vraiment qu'il mentait !

 

Habituée à la lumière, je l'observe. Je comprends mieux pourquoi je ne l'avais pas reconnu auparavant. Sa carrure à complètement changée, comme s'il n'avait jamais été celui que j'avais connu. Lena a dû l'obliger a faire du sport, car il semble plus puissant et plus robuste maintenant. Je me souviens d'un garçon qui ne brillait que par son sarcasme et son intelligence, et qui avait plutôt tendance à rester discret, sauf si c'était pour lancer une de ses piques fétiches. Il semblerait qu'il se soit métamorphosé en deux ans. Et je crois savoir qui en est la cause principale.


-Aller, viens. Je vais te montrer quelqu'un que tu seras contente de revoir, j'en suis certain.

 

-Je refuse de voir Thilas !

 

Je ne sais pas vraiment pourquoi j'ai prononcé cette phrase tout haut, mais vu comment Peter réagit, il ne doit pas s'agir de lui. J'en suis rassurée, et je suis presque certaine de l'identité de cette future personne qui souhaite me voir.

 

-Peter c'est un vrai labyrinthe ici, on risque de se perdre et...

 

Il me tire vers l'avant, et je n'ai pas d'autres choix que de tenter de le suivre. Il commence à courir, et je vois la lumière de la lampe de poche s'éloigner de plus en plus de moi. Mes jambes ne supportent pas de bouger aussi vite. Je m'épuise et Peter ne s'en rend même pas compte. Il continue de courir devant moi, et je ralentis, fatiguée. Je ne vais pas tarder à tomber si cela continue.


Au loin, Peter et sa précieuse lumière ont entièrement disparu. Affalée contre le mur, je respire par à coup pour reprendre mon souffle. Mes jambes tremblent.


C'est à ce moment que j'entends un bruit, à l'autre bout du couloir. Un bruit de pas, et je suis certaine qu'il ne s'agit pas de Peter. Ils sont deux.


Je me redresse. Il faut que je reparte, et vite. Encore tremblante, je commence à marcher, essayant de faire obéir mes jambes. Derrière moi, les pas se rapprochent, de plus en plus près de moi. Je continue d'avancer, espérant retrouver la lumière de la lampe de poche de Peter. 


Que se passera-t-il exactement s'ils me rattrapent ? Que vont-ils me faire ? Vont-ils m'enfermer avec d'autres fous durant des jours ? Ou tenteront-ils des expériences avec moi ? 


Voilà que ma paranoïa revient. Il faut que j'arrête d'émettre des hypothèses toutes plus étranges les unes que les autres, bien loin de la vérité. Je dois juste continuer d'avancer sans penser à ce qu'il se trouve derrière moi.


Une rayon m'éclaire, et, au même instant, quelqu'un tire mon bras sur le côté. Je fais un bond sur la droite, au moment où les surveillants arrivent dans le couloir. La porte se verrouille derrière moi. C'est une silhouette féminine qui se dresse face à moi.


Mes pensées vont à cent à l'heure. Qui est-t-elle ? Va-t-elle me livrer aux surveillants de l'asile ? Non, ça n'aurait aucun logique, elle ne m'aurait pas emmenée ici sinon. Mais que cherche-t-elle alors ? Pour le moment, je dois rester silencieuse, le temps qu'ils passent devant la porte. Le moindre murmure peut nous faire remarquer.


J'ai l'impression que les secondes s'écoulent comme des minutes durant cette attente. Je cherche la lampe de poche mais c'est Peter qui l'a. Je suis avec une inconnue, sans lumière pour pouvoir tenter de la reconnaître dans les ténèbres. 


Un flash de lumière surgit de l'obscurité, m'éblouissant totalement.


-Oh mon dieu ! Il déconnait pas, c'est bien toi ! 

 

La fille me saute dessus et me serre dans ses bras, si fort que j'ai l'impression d'étouffer.


-Mon escargot en chocolat est de retour !

 

Elle resserre l'étreinte. 


Ce surnom ridicule ne m'a été donné que par une seule personne au monde. Et maintenant, je sais parfaitement à qui j'ai affaire.


Lena.


-Ma panthère noire en feu !

 

Je l'embrasse sur les deux joues. La revoir est le plus beau moment de ma journée. Lena a toujours été géniale avec moi, comme avec les autres. Je pleurerais presque de joie tellement je suis heureuse de revoir son visage rond et ses cheveux, dont elle a teint les bouts en jaune. Si son père la voyait, il piquerait encore une de ses crises de nerfs, comme chaque fois qu'elle change la couleur de ses cheveux. Ce qui, à vrai dire, n'a pas l'air de la gêner plus que ça. Lena a toujours eu son caractère, fort et têtu à la fois. Une des nombreuses raisons pour laquelle je l'aime.


-Si tu savais à quel point je suis heureuse de te revoir !

 

A la lumière de son portable, je vois un sourire éclairer son visage.


-Oui, moi aussi. Mais pour l'instant, faut qu'on regagne la salle. Peter va finir par partir si on tarde trop.

 

Elle pousse la porte et lance un regard de chaque côté du couloir. J'aimerais lui dire qu'on risque quand même de se perdre, mais elle me fait signe de sortir, et commence à marcher.


Durant un instant, une hypothèse me traverse l'esprit. Comment ont-ils su que j'étais là ? Depuis que je me suis réveillée, je n'ai eu aucun contact avec l'extérieur, rien que ne puisse les prévenir. Alors comment...? Ca y est, je me souviens. Au final, tout revient à la même et unique personne.


Thilas.


-On risque de se perdre, Lena. C'est un véritable labyrinthe ici.

 

-Mais non !

 

La lumière de son téléphone continue d'éclairer le sol, et nous atteignons rapidement la salle. Peter est là, immobile, regardant d'un air fixe l'horloge au-dessus de sa tête. 21 : 36. Je n'avais pas vu le temps passer aussi vite.


-J'ai bien cru ne jamais vous revoir ! Lena, je t'avais dit rendez-vous sous l'arbre, t'étais où ?

 

-J'étais dans les couloirs, à la recherche de Morgane, que tu avais gentiment abandonné.

 

-Et oh, on se calme. C'est pas ma faute si on était poursuivi.

 

-Mais c'est ta faute si elle s'est retrouvée toute seule dans les couloirs.

 

La tension monte dans la pièce. Je ne sais pas si je dois m'imposer entre eux deux ou faire la sourde. Lors de nos disputes, c'était toujours Liam qui ramenait le calme parmi nous, dans le groupe. Et le plus souvent, on l'écoutait. On l'écoutait toujours. Maintenant, il n'est plus là. 


-Bon sang, arrêtez ! Vous êtes pas venus me voir pour vous crier dessus !

 

Leurs têtes se tournent vers moi. Lena a l'air désemparée, et Peter fixe le sol, comme s'il ne savait pas quoi répondre. Lena s'approche et me prend dans ses bras. 


-Désolée, mon petit escargot. T'as raison, comme d'habitude. 

 

Peter pousse un soupir.


-Ouais, dit-il enfin au bout d'un moment. Mais Lena, pas où est-ce que tu es passée pour entrer ? Thilas avait dit que l'on se retrouverait en bas, et aucun de vous deux n'étaient là quand je suis arrivé. Heureusement que je suis tombé sur cette fille blonde pour m'ouvrir la fenêtre parce que...

 

-T'as vu Cassandra ?

 

Je n'ai pas pu m'empêcher de poser la question. Je ne connais qu'une seule fille blonde, et j'aimerais savoir où elle est. Je ne vois qu'elle qui aurait pu les prévenir, mais je me demande pourquoi elle l'a fait. Pas que je regrette de voir mes amis, bien au contraire, mais comment les connaît-elle ? Qu'elle est le lien entre elle est Thilas ? Encre un de ces nombreux secrets qui l'entourent et qu'ils ne me restent plus qu'à découvrir...


-Non, elle a disparu après m'avoir aidé à entrer.

 

Cette fille est incroyable. Elle est plus discrète qu'une ombre sur les murs, et aussi silencieuse qu'un papillon. A côté d'elle, j'ai l'impression de passer pour un avion au décollage.


Je suis un peu triste de savoir que Cassandra n'est plus là. Je me disais que ce serait bien qu'elle sorte de ce lieu. Qu'elle prenne l'air. 


Mais avant que je prenne moi-même l'air, il faudrait déjà qu'on sache par où sortir. Parce que, si je dois passer par le même endroit que Thilas, c'est à dire en grimpant dans un arbre, il y a peu de chance que j'arrive à sortir.


Avant que je n'expose mon problème à mes amis, Peter récupère un flacon que je n'avais pas vu, posé sur une pile de feuilles et me le tends.


-Elle m'a dit de te donner ça, et qu'il fallait que tu le boives.

 

J'observe le visage de Peter. Il n' y a aucun doute quant à sa sincérité. 

 

Le liquide verdâtre dans la fiole est presque opaque. Rien de vraiment très attirant pour mon palais. Pourtant, j'ai envie de faire confiance à Cassandra sur ce coup là. Je ne sais pas vraiment sur quoi je risque de tomber en buvant cet étrange liquide.


Je tends la main et retire le bouchon. En plus d'avoir une tête étrange, la solution dégage une odeur...désagréable. Il faut que je la boive au plus vite, sinon je serais encore plus dégoûtée.


Quand le liquide glisse dans ma gorge, il la brûle, et j'ai soudain envie de tout recracher. Ou envie de vomir. Ce truc à un goût de gerbe. Qu'est ce qu'il peut bien y avoir dedans ? Je toussote un moment, mais la douleur et le goût bizarre disparaissent et laisse place à un goût de pomme doux et sucré. Sans trop savoir pourquoi, je me sens mieux. Cette fraîcheur acidulé m'a redonné de l'énergie. Je ne me sens plus ni épuisée, ni faible. Comme si cet étrange liquide avait guéri ma fatigue. Mes jambes ont l'air plus fortes aussi. J'ai l'impression de pouvoir courir comme auparavant. De pouvoir sauter et bouger dans tous les sens. Bon dieu, il y avait quoi là-dedans ?


-Ça va, Morgane ? T'en fais une de ces têtes ? Elle m'a dit que tu irais mieux après ça, j'espère que...

 

-Non, t'en fais pas je vais bien. Je vais très bien même. 

 

Je me redresse et pose le flacon sur le rebord de la table.


-Bon comment on sort d'ici ?

 

-Par le même chemin qu'à l'aller, dit Peter en désignant la fenêtre.

 

Lena ouvre de grands yeux et regarde Peter d'un air incrédule. Je la comprends. Pour moi aussi, il est hors de question que je m'amuse à jouer au singe.


-Tu veux dire que c'est par là que tu es passé ? Tu sais que la porte de de derrière était ouverte ? 

 

-Elle l'était quand tu es passée. Moi, j'ai failli me faire prendre. T'as eu de la chance de passer au moment de la relève toi. Sauf que maintenant, faut qu'on descende, et il y a plus qu'un seul chemin.

 

-On est vraiment obligé ?

 

-Lena, fait pas ta chochotte. C'est pas si haut, on est que au deuxième étage. T'avais pas aussi peur quand on a fait notre stage dans la tour Grüns.

 

-Oui...mais...C'était différent. Il y avait pas le vide en dessous. Il y avait le triple vitrage entre l'intérieur et l'extérieur, tu vois. Là il y a rien...

 

Peter s'approche d'elle et lui prend les bras. Son regard se pose sur les yeux de Lena, qui fixe la première branche de l'arbre d'un air horrifiée.


-Hé, t'en fais pas, d'accord ? Je suis avec toi, t'as pas à avoir peur. OK ?

 

-Je...je suis pas sûre que...

 

-OK?

 

-OK.

 

Il relâche les bras de Lena, et celle-ci se dirige vers la fenêtre pour l'ouvrir et regarder le tronc de l'arbre. J'espère que ça va aller pour elle. Je ne me souvenais pas qu'elle avait le vertige, mais ça risque d'être difficile aussi pour elle, si elle regarde trop le sol. Faut pas que ma panthère noire en feu se face du souci, je serai là pour la rattraper, tout comme Peter. D'ailleurs, en parlant de leur relation, ils m'ont l'air plus proches qu'auparavant. Seraient-ils sortis ensemble ? Cela m'étonnerait à peine. Ils ont toujours été extrêmement proches tous les deux et en secret, nous nous amusions à deviner quand arriverait le grand jour. Nous pensions que Peter demanderait à Lena hier, le jour de son anniversaire.


Ah non. Ce n'était pas hier, il faudra que je m'y fasse. C'était il y a deux ans. Deux ans. Deux ans ! Comment est-ce possible ! Même lorsque j'avais regardé Kill Bill, j'avais eu du mal à croire qu'elle puisse se réveiller au bout de quatre ans. Et pourtant, moi, je me suis bien réveillée au bout de deux ans. Je n'arrive pas à le croire, c'est tellement...irréel !


-Ça va toi ? Tu te sens de descendre ?

 

La voix de Peter me sort un peu de mes pensées.


-Oui, oui, ça va aller, enfin...je crois.

 

Je décide de passer la première, pour rassurer Lena. Si j'arrive à descendre sans encombre, elle n'aura aucun mal à faire de même. 


Précautionneusement, j'enjambe le rebord de la fenêtre et pose mon pied sur la première branche. Je teste sa solidité car, même si elle est plutôt épaisse, j'ai moi aussi peur d'y aller. Je passe la deuxième jambe dehors et me retrouve à califourchon à plus de huit mètres de hauteur. En essayant de ne pas regarder le sol, je m'avance vers le tronc et le branche la plus proche. Étonnement, je ne ressens plus aucune fatigue dans les jambes, comme si elles n'avaient jamais été immobilisées.


Je saute sur la deuxième branche, puis la troisième, et ainsi de suite, rejoignant de plus en plus rapidement le sol. Arrivée sur l'avant dernière branche, je me retourne pour voir où en sont mes amis.


Peter, en parfait petit ami, s'est mis juste en dessous de Lena pour l'aider à descendre. Ils progressent lentement, mais plus ils descendent, moins Lena a l'air stressée et en proie à la peur. 


Plus je me rapproche du sol, plus je me demande comment je vais pouvoir réussir à sauter de la dernière branche. Elle me paraît très éloignée du sol, et, même si la nuit et ses ombres peuvent me jouer du tour, cela ne me rassure en rien. 


Je progresse dans ma descente, et me retrouve finalement à califourchon sur la dernière branche de l'arbre, fixant le sol terreux situé deux mètres en dessous de moi. Aurais-je le courage de sauter ? Je vois mes pieds se balancer au-dessus du vide, si loin de l'herbe du petit parc. Il faut bien que j'y aille et que je me lance dans le vide. Je ferme les yeux et prend une grande inspiration avant de me laisse tomber.


A l'instant où je sens le sol sous mes pieds, je plie les genoux et roule sur le sol. Lorsque je me relève, mes jambes tremblent à cause de la violence du choc. M'appuyant sur le tronc, je tente de retrouver mon équilibre en observant les alentours.


A quelques mètres du carré d'herbe passe la route. Ici, nous sommes caché de la lumière des lampadaires qui la borde. Quelques voitures sont garées sur son long, presque toute grises sous l'éclairage nocturne. De l'autre côté de la chaussée se dresse l'hôpital psychiatrique de la ville, aux murs aussi blancs à l'extérieur qu'à l'intérieur. Le peu de fenêtres se trouvant sur les murs sont condamnées par des barreaux, empêchant toute sortie. La salle informatique est la seule à ne posséder aucun barreau.


-Morgane !

 

Ayant retrouvé tous mes esprits, je lève les yeux vers Lena qui vient de m'appeler. Elle sert la branche sur laquelle elle est allongée si fort que j'ai l'impression qu'elle ne s'en décrochera jamais. Tendant une main tremblante, je la vois lâcher un objet qui tombe sur le sol à côté de moi. En le ramassant, je découvre qu'il s'agit d'une paire de clé.


-C'est la Chevrolet.

 

Peter me pointe une voiture noire rangée parmi les autres.


-Essaie de la garer en dessous, Lena pourra jamais sauter.

 

J'acquiesce de la tête, même si j'ai peur de ne pas réussir à faire démarrer la voiture. J'avais pris quelques leçons avec ma mère, mais je n'avais jamais passé mon permis. En réalité, je n'en avais pas eu le temps. Je ne sais pas vraiment si les habitudes me reviendront en tenant le volant, mais il le faudra. 


Une fois montée dans la voiture, je mets le contact et observe les pédales, le temps de me rappeler quelle est leur fonction. La pédale de droite, si mes souvenirs sont bons, sert à accélérer, et de ce fait, celle de gauche à freiner. Sur ma droite se trouve la poignée de vitesses. Un D, un R, un N et un P. Que je me souvienne...


« -Alors Morgane, comme tu le vois, les pédales ne suffisent pas, c'est pour ça qu'on à cette poignée. Comme tu peux le voir, il y a quatre lettres, qui ont chacune leur signification. Le D signifie '' Driver '', c'est à dire la position pour conduire, tout simplement. »
Je hochais la tête pour faire signe à ma mère que j'avais compris. C'était la première fois que je me retrouvais assise devant le volant, et j'avais vraiment hâte de partir faire un tour en ville.
« -Le P, c'est pour ''Parking''. Quand tu es garée, il faut toujours l'enclencher. Ensuite le N, c'est la position neutre, quand tu n'as pas de vitesse, comme au feu rouge par exemple. Et la dernière position, le R, sert à la marche arrière, pour reculer et faire des créneaux. Tu as bien compris ? »
J'acquiesçais et répétais le tout à ma mère, pour qu'elle sache que j'avais bien tout saisi. Malgré tout, conduire une voiture n'avait pas l'air aussi difficile que je ne le pensais.

 

Je suis prête, du moins, c'est ce que je pense. Le moteur commence à toussoter, et je me demande alors si c'est réellement une bonne idée de vouloir essayer de conduire. Poussant le levier vers le R, je commençais à sortir de ma place, comme la dernière fois que j'avais conduit, il y a si longtemps de cela. Mes mains tremblent sur le volant tandis que je fais des allers-retours pour regagner la route. Plus d'une fois j'ai cru rentrer dans la voiture de devant, et encore plus dans celle de derrière. Le rétroviseur ne me sert pas à grand chose dans le noir, et je ne sais plus où se trouve les phares.


Finalement, après des manœuvres qui me semblent durer une éternité, j'arrive à m'extirper de ma place, sans incident. Désormais, face à moi, se dresse le tronc d'arbre. Avec sa lampe de poche, Peter me fait signe de m'approcher, tenant Lena dans son autre bras – ou plutôt soutenant, je dirais. Je prends une grande inspiration et commence à avancer, par à coup, ayant peur de rentrer dans l'arbre si je vais trop vite. Je stoppe enfin le véhicule, encore tremblante, sous la branche où attendent mes amis.


Je sors de la voiture et m'appuie sur la carrosserie, lorsque le poids de Peter, puis de Lena, tombe sur le toit de la voiture américaine. Lena, tout sourire de retrouver la terre ferme, me reprends les clés.


-Je te donnerais des leçons, mon petit escargot, c'est promis. Ce sera juste 25$ l'heure.

 

Elle prend place dans la voiture côté conducteur, tandis que Peter glisse le long de la carrosserie à côté de moi. La voiture ne garde aucun signe de la chute des deux corps. Solide. 


-T'en fais pas pour elle, elle va bien. C'est pas la première fois qu'elle me fait le coup de flipper autant pour descendre d'un arbre. Je crois que c'est à cause de la chute de son frère qu'elle a le vertige maintenant...Quoiqu'il en soit, tu ne sais pas à quel point je suis heureux de te retrouver !

 

Il me sert dans ses bras et je lui rends son étreinte. Pour moi, la dernière fois que je l'ai vu remonte à il y a deux jours, mais pour lui, deux ans se sont écoulés depuis ma disparition. Au fond, je ressens moi aussi leur absence.


-Aujourd'hui est un jour spécial. D'abord, c'est mon anniversaire, et puis, ensuite, c'est nos deux ans avec Lena, et on compte fêter ça. Tu es partante ?

 

Tenir la chandelle n'est pas mon envie, mais répondre non à cette invitation serait la pire erreur à faire. Je donnerais n'importe quoi pour passer à un moment normal en compagnie de mes amis.


-Bien sûr, ce serait avec plaisir !

 

++++


Nous venions de traverser tout le centre-ville pour arriver jusqu'à la zone résidentielle de la ville. La circulation était peu dense, mais Lena avait pris soin d'éviter le quartier touristique et le grande place de la ville, aussi cela me paraissait normal.


Autour de nous jaillissent des pavillons identiques avec des jardins bien entretenus et colorés, même dans la nuit. La plupart des fenêtres sont encore allumées, mais les rues sont calmes.


Lena s'arrête alors devant sa maison, où seule la lumière du salon éclaire son jardin. Nous descendons tous de voitures, silencieux et discrets, pourtant la porte s'ouvre en grand dès que nous ouvrons le portail.


-Tu rentres encore après dix heures du soir ! Comment ose-tu être aussi malpolie ? Tu as de la chance que ton père te laisse faire tout ce que tu veux, si ça ne tenais qu'à moi, je te placerais en foyer ! Tu ne mérites pas de vivre ici ! Tu es un mauvais exemple pour mon fils !

 

Même après quinze années, je n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi le père de Lena s'est remarié avec Larissa Dailey. Cette femme, certes très belle et séduisante, n'éprouve que de la haine pour sa belle-fille. Haine qu'elle lui rend bien d'ailleurs. Les deux femmes se détestent autant qu'elles aiment le petit Nathan Brown Dailey, qui doit avoir à peine treize ans. Mini poil de carottes, comme on le surnomme pour le taquiner, est déjà dans son lit à cette heure tardive. Ce qui n'empêche pas la belle-mère de Lena de crier sur tout les toits.


Au bout de deux minutes de disputes entre mon amie et Mrs. Dailey, un petit garçon à la touffe rousse en bataille descend les marches, en se frottant les yeux et baillant. Il porte un T-shirt trop grand pour lui qui arbore la tête de Darth Vador, avec la célèbre citation « I'm your father ».


-Qu'est ce qu'il se passe ? 

 

Lena s'approche de lui et le serre dans ses bras. Tout petit par rapport à elle, ses pieds s'envolent du sol quand elle le soulève.


-Lâche ton frère, il doit aller dormir.

 

Larissa prends son fils dans les bras et comment à monter les escaliers qui mènent à l'étage.


-Si tu comptes sortir avec tes amis ce soir, cela te regarde, mais, quoi qu'il arrive, j'en toucherais un mot à ton père et tu verras bien.

 

-Elle verra bien quoi ? Demande Nathan.

 

-Rien mon chéri, rien, il est temps de dormir.

 

-Je pourrais lire ?

 

-Si tu veux, mais pas trop tard.

 

Ils disparaissent à l'étage et l'écho de leur voix s'évade.


Lena pousse un soupir et nous emmène dans le salon. C'est à peine si Larissa m'a reconnu, trop occupée à crier sur sa belle-fille. Ça ne doit pas être facile tous les jours pour mon amie rousse de devoir supporter sa belle-mère. Et puis son père est si souvent absent que l'ambiance à la maison doit être tendue chaque seconde.


Le salon de la maison des Brown est plutôt spacieux, avec un canapé blanc en L et une télé écran plat de plusieurs dizaines de pouces. Entre les deux se trouve une petite table basse en bois, posée sur le carrelage marron. Dans un coin de la pièce se trouve une étagère sur laquelle sont entreposés une bonne dizaine de disques, qui montre la passion de Lena pour la musique. Elle a en toujours été obsédé, en plus de sa passion pour la course. Même si son père est contre, elle a toujours rêvé de courir sur les pistes du Millenium Stadium, applaudit par la foule. 


-Si tu veux te servir, Peter, tu connais le chemin de la cuisine. Je vais te trouver une tenue, Morgane, tu peux pas sortir comme ça.

 

Je suis Lena jusqu'à sa chambre, qui, contrairement aux autres maisons américaines, est au rez-de-chaussée. Elle a toujours trouvé plus pratique de pouvoir sortir directement par la fenêtre au cas où sa mère verrouillerais sa porte. 


Les murs, peints en gris et en noir sont couverts d'inscriptions et de posters. Sur le lit trône une couverture des Artics Monkeys et des piles de CD traînent un peu partout contre les murs et sur le bureau. Posé sur celui-ci se trouve quelques livres et feuilles volantes. Les affaires de cours de la jeune fille sont rangées dans un placard où se trouve également ses vêtements. Elle se dirige vers celui-ci et l'ouvre. Ce n'est pas la première fois que je viens chez Lena, mais son dressing a encore grandi depuis la dernière fois .


De gauche à droite, des T-shirts et des vestes sont accrochés dans la penderie, les jeans, gilets, jogging, leggins, jupes, et shorts s'empilent partout. Au niveau du sol se trouve deux étagères entières remplis de chaussures de toutes sortes.


-Choisis ce que tu veux, c'est open bar ! Je reviens, je vais vérifier que Peter n'ait pas vidé mon frigo !

 

Lena me laisse seule dans sa chambre, et je reste un moment immobile devant le choix de vêtements et de couleurs qui s'offrent à moi. J'ai l'impression d'être dans un magasin, à la recherche de la perle rare. 


J'opte finalement pour un short en jean, un T-shirt noir à l'effigie de Green Day et des converses noires. C'est certes la nuit et le mois de juin, mais l'été commence tôt en Floride. La chaleur se fait déjà sentir. 


Je sors de la chambre pour retrouver mes amis. Tous deux assis sur le canapé, ils observent l'écran noir de la télé en s'embrassant. Ce qui me donne encore plus l'impression de ne pas avoir ma place ici.


-La télé est éteinte les gars, ça sert à rien de rester là.

 

Leur réaction est plutôt comique. Il faut croire qu'ils ne s'attendaient pas à me revoir aussi vite. Leur tête se cognent l'une contre l'autre et, en se la frottant, ils se décalent chacun d'un côté du canapé, gênés que je les ais surpris.


-Oh, Green Day ? Tu marches seule sur le boulevard des rêves brisés?

 

Malgré tout l'humour placé dans cette phrase, Lena ne voit pas ce que cela signifie pour moi. Le fait que désormais, je sois la seule de ma famille, que j'ai perdu presque tout ce qui comptais pour moi, si ce n'est eux deux. Tant de gens sont morts ou m'ont abandonnée...Enfin, seul Thilas m'a abandonnée, mais cela suffit pour me faire croire qu'ils sont plusieurs à l'avoir fait. Désormais, maintenant qu'ils sont tous partis, tout ce que je pensais pouvoir faire, tout ce j'avais prévu pour mon avenir c'est effondré. Comme dans la chanson. 


-Oui, on peut dire ça, dis-je avec un discret sourire. On y va ?

 

-Ouais, faudrait se dépêcher avant que Larissa revienne.

 

 

++++


Nous marchons dans les rues presque désertes de notre quartier pavillonnaire, direction le nord, et le parc Thelma. Seul grand parc de la ville, il est ouvert à toutes heures, même si peu de gens y viennent la nuit durant la basse saison. C'est le lieu où tout le monde se retrouvent, où tout jeune étant né ici à des souvenirs d'enfance. Comme moi, comme Lena. Mais Peter ne connaît pas le parc comme nous deux. Il vient de la Nouvelle-Orléans et ne vit ici que depuis quelques années. Il n'a pas le même passé que nous ni les même souvenirs.


En poussant la grille en fer, nous pénétrons sur la grande étendue verte. Nous marchons sur le chemin tranquillement, muets comme des tombes. Personne ne sait quoi dire, quoi penser. Cet endroit évoque trop de choses. La première fois que j'ai vu Lena par exemple. C'était il y a longtemps, mais je m'en souviens parfaitement.


Nous arrivons devant le parc pour enfants, où sont regroupés plusieurs balançoires, toboggans, tape-cul et autre jeux pour enfants. Je me souviens d'avoir passé presque toutes mes fins d'après-midi ici, comme tous les autres enfants, parce que le parc est à côté de l'école. 


Lena et moi nous tournons la tête, et, d'un regard commun, la même idée nous passe par la tête. Nous poussons toutes deux Peter sur le tourniquet et commençons à le faire tourner. Il n'a pas le temps de réagir et il s'accroche brusquement au barreau, virant au vert, tandis que nous continuons de courir pour augmenter la vitesse.


-Arrêtez ! Crie Peter. Je...Je vais finir par gerber !

 

Comme deux folles, sachant très bien toutes deux que Peter dit ça pour rire, nous continuons de courir. Au bout d'un moment, je saute et tourne à mon tour, le paysage devenant flou devant mes yeux. Ma tête commence à tourner, et je me laisse tomber sur le sol. Alors que je me relève, le monde penche à gauche et à droite, reprenant son équilibre petit à petit. 


-Hé bah, Morgane, on tient plus sur ses jambes ?

 

Tenant enfin sur place, je vois que Peter est face à moi, me dépassant de quelques centimètres, le sourire au lèvres. 


-Rappelle-moi qui allait gerber ?

 

-Ok, tu marques un point.

 

Par derrière Peter, je vois Lena s'approcher, un air moqueur sur le visage. Son regard va de Peter à sa prochaine farce. Je lui rends son clin d'oeil.


-Quoi, mais qu'est ce que...

 

Avant qu'il est pu réagir, Lena lui saute par derrière et je les pousse tout deux en même temps dans le bac à sable. La poussière vole dans les airs et je me protège les yeux. Peter crache un peu de sable, et Lena aussi. Ils sont tout deux en train de rire, et, en les voyant, l'envie me vient aussi. Mais au fond, je n'ai pas le cœur pour faire ça. Je ne peux tout simplement pas. A cause de Capucine, de Liam, de Dean, de mes parents. Je ne peux pas rire alors qu'ils ne sont pas là, qu'ils ne pourront jamais plus...


Je sais que je ne devrais pas évoquer le passé, que ce n'est pas le bon moment, que Peter et Lena sont en train de partager un moment de bonheur, qu'ils sont heureux, mais j'ai besoin d'en parler, de pouvoir savoir ce qu'il s'est passé et de partager ma peine. Même si je ne le dois pas.


-Lena...

 

Elle relève sa tête du sable et du petit tas – ressemblant vaguement à un volcan - qu'ils avaient commencé à former tous les deux.


-Oui ?

 

En voyant son sourire rayonnant, j'hésite un instant, plus si certaine que ce sera bénéfique pour moi de parler de ce que je ressens.


-Tu te souviens du jour où nous nous étions rencontrées ?

 

-Bien sûr ! Comment je pourrais l'oublier ? J'avais failli te casser un bras !

 

C'est vrai que Lena était déjà assez brutale, même enfant. Elle a toujours été énergique et hyperactive, ne tenant jamais en place. C'est peut-être à cause de son tempérament que j'avais eu envie de l'approcher. Enfin, lors de notre rencontre, c'était elle qui était venue me chercher des problèmes et ça avait fini en bagarre, jusqu'à ce que nos pères respectifs nous séparent enfin. C'est étrange la façon dont commence les plus grandes amitiés. Mais en même temps, Lena n'est pas de ces filles qui s'ouvrent à tout le monde, simplement qui aime se montrer et faire savoir aux autres quelle est toujours présente et en vie. C'est pour ça qu'on l'aime. Pour ses bêtises et sa folie. 


Peter, lui, a toujours été plus réservé, plus calme et plus distant. Enfin, c'est ce que j'ai pensé en le rencontrant la première fois, jusqu'à ce que Lena me dise qu'ils s'étaient rencontré au commissariat. Même si Peter ne voulait pas en parler, Lena nous a quand même raconté ses problèmes familiaux et sa fugue. J'ai revu immédiatement mon premier jugement. Peter est en réalité plutôt discret, certes, mais il peut se montrer très turbulent et violent, lui aussi. Il a eu beaucoup de problèmes, mais, comme Lena, il n'aime pas en parler, et préfère se cacher derrière son sarcasme plutôt que de parler de ses peines.


Contrairement à moi. J'ai toujours eu la langue trop pendue, ne sachant jamais garder ce que je ressens et ce que je pense. Plus d'une fois, j'ai failli dire aux autres que Thilas et moi étions ensemble, malgré son souhait que cela reste secret. Souhait que je n'avais jamais compris d'ailleurs.


Quoi qu'il en soit de nos différents caractères, ce n'est pas avec eux que je dois évoquer le passé. Mais je me suis déjà lancé, il faut que je trouve une solution de secours.


-Je repensais à nos pères, je sais pas pourquoi...Le tien va bien ?

 

Aïe...A voir la tête de Lena, c'était un sujet à éviter. Soit parce qu'elle pense à mes parents, partis, soit parce qu'elle a, une fois de plus des problèmes familiaux.


-Ça va, ça va. Il a toujours autant de boulot et rentre toujours aussi tard. Le commissaire est débordé, et ça se ressent sur les autres policiers. Et puis, avec Larissa à la maison, j'ai l'impression de pas être née dans la bonne famille. Mais que veux tu, on fait avec ! 

 

Elle se mord la lèvre durant un instant, hésitante. Finalement, c'est Peter qui se lance.


-Et toi...tu...tu t'en remets ?

 

Je ne sais pas si je m'en remettrai un jour. Même lorsqu'on a soixante ans, perdre ses parents est dur. Alors savoir qu'on a déjà tout perdu alors que l'on a que presque seize ans...enfin, dix-huit maintenant.


-Non, pas vraiment. Je ne sais pas si j'y arriverais. Mais ne vous en faites pas, je tiens le coup.

 

Lena sort du bac à sable et s’époussette pour faire tomber les derniers grains de son top. Elle s'assoit à côté de moi et me sers dans ses bras.


-T'en fais pas, nous, on sera toujours avec toi, c'est promis.

 

Peter nous rejoins et fait de même.


-Je le promets aussi.

 

Nous voilà, trois gosses avec des problèmes familiaux : le garçon aux parents divorcés qui l'ont abandonné, la fille sans-famille et la fille dont la mère est morte d'un cancer, dont le père est trop absent et que la belle-mère hait. Trois gosses main dans la main, prêts à tout pour se soutenir.


-Moi aussi, je promets, de rester avec vous, quoiqu'il arrive.

 

Un silence s'installe entre nous, coupé au bout d'une demi-minute par Lena.


-Bon, c'est pas tout ça, mais je vais voir si je passe encore dans ce toboggan bleu.

 

Je la regarde partir grimper l'échelle, et nous la suivons. Une fois qu'elle est assise en haut, nous la poussons avant de nous jeter à notre tour sur la pente. Nous glissons dans le tunnel, prenant les virages, criant comme des imbéciles heureux. 


Toujours ensemble.



++++


-Je vais vous laisser tous les deux, faut que j'aille quelque part.

 

Nous venons tout juste de sortir du parc. Il doit être un peu plus de minuit et les rues sont complètement vides dans le quartier pavillonnaire. Toujours souriants, moi y compris, nous marchons tranquillement. Devant moi, Peter et Lena se tiennent la main et se parlent comme si je n'étais pas là. Il est temps pour moi de les laisser seuls, en couple, et d'aller voir ailleurs.


-Où est ce que tu comptes aller ? Si tu cherches un endroit où dormir cette nuit, j'ai un canapé lit dans mon salon, me propose Peter.

 

-C'est gentil à toi, mais j'aimerais d'abord aller faire un tour. Ne t'en fais pas je rentrerais au plus vite. 

 

-Mais où est ce que tu veux aller à cette heure ?

 

Lena lui lance un regard en biais. J'y lis très bien le « N'insiste pas. » qu'elle essaie de faire passer à Peter. Celui-ci lève les yeux au ciel.


-Ah ça va, j'ai le droit de m'inquiéter !

 

-C'est pour moi que tu dois t'inquiéter pauvre idiot !

 

Ils s'embrassent, me donnant encore plus l'impression de ne pas devoir être ici.


-Mais moi j'ai le droit de m'inquiéter pour mon petit escargot !

 

Je la serre dans mes bras.


-Tu me promets qu'on se voie demain ?

 

-Bien sûr ma petite panthère ! 

 

On se quitte au détour d'un chemin, et je commence à marcher vers l'est de la ville sans trop savoir pourquoi je souhaite aller dans cette direction. Suis-je vraiment sûre de ce que je vais faire ? 


Au bout de dix minutes, je quitte le quartier résidentiel pour me retrouver à la limite du second quartier d'affaires de la ville. Je tourne à gauche vers la forêt, et pousse enfin la grille du cimetière.


Mais pourquoi suis-je venue ici ?


22/08/2015
0 Poster un commentaire

~Chapitre 2 ~

Chapitre 2 
Renaissance

 

 

 

II n'y a plus que le silence. Rien qui ne puisse être décrit. Que ce vide intense, inconnu et sans limite. Je ne vois rien, n’entend rien, ne ressens plus rien. Je ne fais que flotter dans ce vide interminable et sans fin. Où suis-je ? Quel est cet endroit ? Depuis combien de temps suis-je ici ? Suis-je morte ? Suis-je en vie ? Qu'en sais-je ? Je n'ai aucun point de repère, aucune idée de là où je suis, aucune idée de quelle heure il peut bien être. Je suis juste perdue dans cet univers sans couleurs, sans émotions et sans raisons.

 

Mes pieds se posent sur une surface inexistante et d'une matière étrange. Je marche sur ce vide et avance lentement dans l'obscurité, cherchant une sortie.

 

Une vive lumière m'apparaît alors, au loin. Mes jambes accélèrent le pas, jusqu'à courir pour rejoindre cette lumière. Peut-être aurai-je un indice là-bas, un indice sur ce lieu sans fin.

 

Là-bas, il n'y a que deux escaliers. L'un montant vers un ciel noir, l'autre descendant dans les profondeurs éclairées. Deux panneaux indiquent les directions, mais je n'arrive pas à les lire, comme si j'étais dyslexique. Les caractères se mouvent et m'empêchent de les comprendre. Je ne sais pas où je suis et rien ne me permet de le savoir. Je m'assois par terre et fixe les escaliers d'un air perdu. Je n'ai plus la notion du temps, et je suis incapable de dire combien de temps je reste assise avant de voir apparaître les deux silhouettes.

 

L'une est masculine, l'autre féminine. Quand je les vois dans la brume lointaine, je n'arrive pas à savoir de qui il s'agit. Elles s'approchent lentement, flottant au dessus du sol de sable noir. Arrivées à ma hauteur, je reconnais mes amis, Liam et Capucine. Ils ont tous deux l'air fatigué. Leur visage habituellement si rieur et joyeux, et pâles et sans émotion. J'ai l'impression d'avoir face à moi deux cadavres revenus de l'au-delà.

 

« Choisis bien. »

 

Ces deux mots résonnent dans l'espace et le temps, sans qu'aucun de nous ne les aies prononcés. J'ai beau observer le visage méconnaissable de mes meilleurs amis, ils restent neutres et ternes. Ai-je rêvé ? Ils se sont gravés dans mon crâne comme si je les avais pensés, sans que je ne les pense.

 

« Venges-nous, et deviens celle que tu as toujours dû être. »

 

Sans qu'aucun mot ne franchisse ses lèvres, Capucine m'a transmis ces mots. Je ne comprends toujours pas ce que ces paroles signifient, mais elles doivent bien avoir un rapport avec ses escaliers. Je ne sais pas ce qui me gêne le plus dans cette phrase. Le fait que mes meilleurs amis soient conscients d'êtres morts, qu'ils pensent que leur mort n'est pas un accident mais un meurtre, ou qu'ils disent que je doit devenir celle que j'aurais toujours dû être. Pourquoi disent-t-ils cela ? Je suis moi, Morgane Blacks, simple fille de bientôt 16 ans, vivant à Henrisson City depuis sa naissance, aux États-Unis en Floride, avec sa famille. Enfin...plus vraiment...Mes parents sont morts, ainsi que mon petit frère. Comme le reste de ma famille. Je suis la dernière Blacks. La dernière...

 

« Choisis-bien, tu ne pourras pas faire marche arrière. »

 

Je ne suis pas d'humeur à savoir si je dois choisir de venger mes amis ou les rejoindre. Je veux juste rester ici, dans les Limbes, et ne jamais me réveiller. Je ne veux pas voir ce monde si noir et cruel continue de s'attaquer à moi jusqu'à ce que je ne puisse plus le supporter.

 

« Liam, il y a un problème...je »

 

Capucine est soudainement aspirée dans les airs et elle disparaît dans les cieux gris et noirs. Plein d'incompréhension, Liam et moi observons le ciel orageux qui vient d'enlever notre meilleure amie. Une tempête éclate, et nous nous retrouvons rapidement trempés de la tête aux pieds.

 

« Qu'est ce que c'était ?»

 

Liam et moi continuons de fixer le ciel d'un air perdu. Où est Capucine ? Pourquoi s'est-t-elle envolée ? Je vois Liam secouer la tête. La leur d'inquiétude s'envole de ses yeux et il me regarde.

 

« Dans tous les cas, tu dois faire un choix. Voilà trop longtemps que tu es ici. Mais celui-ci n'appartiens qu'à toi. Alors choisis comme tu l'entends, mais tu ne pourras pas faire marche arrière. »

 

Comment peut-il penser que j'arriverais à choisir ?

 

Maintenant que j'y pense, il y a un chemin qui me permettra de faire marche arrière, et c'est celui-ci que je vais choisir.

 

Lentement, je me dirige vers l'escalier qui s'envole vers les cieux encore orageux. Les larmes de pluie tombent encore sur le sol, rendant les marches glissantes. Pendant une fraction de seconde, l'hésitation me prend. Mais je ne renoncerais pas. J'ai fait mon choix, et je m'y tiendrai.

 

-Merci pour tout Liam. Je promets de ne jamais t'oublier et de me souvenir de toi jusqu'à mon dernier souffle.

 

Son sourire est la dernière chose que je vois de lui avant de grimper vers le ciel.



++++

 

Mes paupières s’entrouvrent. La lumière éblouit mes rétines et je referme les yeux le temps de m'habituer à cette nouvelle clarté. Je laisse mes paupières closes un instant, pour ressentir la douceur des draps sur ma peau. Une légère brise passe, comme si une fenêtre était ouverte.

 

Une fois que je rouvre complètement les yeux, je me rends compte que je suis dans une chambre toute blanche. Mes draps, blancs aussi, recouvrent mon corps et ma tenue d'hôpital. J'essaie de me redresser, mes tous mes muscles semblent morts. Je suis contrainte de me rallonger.

 

J'entends une porte s'ouvrir, et le pas léger d'une femme. Quand elle arrive à ma hauteur, je vois sa chevelure blonde osciller de gauche à droite au rythme de sa marche. Sa blouse blanche épouse ses formes généreuses et recouvre une robe grise. Elle lance des regards de gauche à droite sur les autres lits, mais, sur le mien, elle s'arrête brusquement et pousse un cri. Elle ressort en courant de la pièce.

 

Je reste un moment perplexe quant à cette brusque apparition, mais je décide d'essayer de me relever. Au bout de quelques essais, j'arrive enfin à m'asseoir avec difficultés en m'appuyant contre le mur. C'est ce moment que choisis l'infirmière pour revenir, accompagnée de ce que je suppose être un médecin.

 

Il porte une paire de lunettes en demi-lune sur son long nez. Derrière les verres, ces deux yeux gris brillent d'un regard étincelant. Il fait un peu peur, sa calvitie et ses sourcils tordus bizarrement n'aide en rien à me rassurer. Il s'assoit sur le lit et le matelas se penche avec son poids.

 

-Je vois que tu t'es réveillée.

 

Sans blague.

 

-Comment te sens-tu ?

 

J'ai envie de lui balancer tout un tas d'obscénités dans sa face de rat. Comment je me sens ? Comme quelqu'un qui vient de faire un tour dans Limbes où elle a croisé ses meilleurs amis morts dans un accident de voiture, et où elle a atterri après que sa famille soit morte dans un incendie. Ah oui, j'oubliai que j'ai été lâchement abandonné par mon petit ami. A part ça, je suis en pleine forme, allons faire du saut à l'élastique !

 

Voyant que je ne réponds pas à la question, il choisit d'en poser en une autre.

 

-Soit. Peux-tu m'expliquer ce qu'il t’est arrivé il y a deux ans ?
-Deux ans ?!

 

Comment est-ce possible ? Comment ai-je pu être dans le coma aussi longtemps ? C'est impossible ! Et pourtant...Liam a bien dit que j'étais là depuis trop longtemps...mais quand même ! Deux ans ! Je n'arrive pas à y croire !

 

-Oui, deux ans. Peux-tu me dire comment tu as fait pour survivre à l'incendie ? Cela pourrait faire avancer la science.

 

Se rend-t-il compte à quel point chacun de ces mots me choquent et me brisent ? A-t-il idée de ce que j'ai vécu ce soir là ? Autant répondre à sa question. La réponse ne le satisfera pas, j'en suis certaine.

 

-Le feu a commencé à brûler tout le cabanon, puis il s'est attaqué à ma jambe...

 

Il hoche la tête. Je lis dans ses yeux qu'il souhaite que j'en vienne au fait.

 

-Et, quand j'ai cru mourir, une sorte de bouclier est apparu au-dessus de moi et m'a sauvé la vie.

 

Il hoche à nouveau la tête, et il fait signe à l'infirmière de le rejoindre dehors. Je reste seule dans la pièce, avec pour unique présence les autres filles dans le coma. Je me demande bien qu'elle peut être leur histoire, depuis combien de temps elles sont là, et pourquoi elles sont là.

 

Derrière la porte, je vois l'infirmière et le médecin s'agiter en faisait des grands gestes. La porte fermée ne me permet pas de savoir ce qu'ils disent, mais les regards de la jeune femme qui se tourne vers moi m'indiquent que le sujet principal de leur conversation ne m'est pas inconnu.

 

Au bout de cinq minutes, le médecin revient, tout sourire suivi d'un peu plus loin par l'infirmière qui elle, à l'air plus apeurée. Ses yeux marron me lancent des regards déterminés, à quoi, je ne vais pas tarder à le découvrir.

 

Le médecin me prend la main droite et la plaque sur le matelas. Au même instant, l'infirmière me prend la main gauche et plante une seringue dans mon bras.

 

-Qu'est ce que vous faites ?

 

Au bout de quelques secondes, tous mes muscles se relâchent. Je n'arrive plus à faire un seul mouvement. C'est une sensation bizarre que d'être paralysée. Vous ne pouvez plus bouger, et vous rester dans l'unique position que vous connaissez, coincé.

 

La jeune femme me soulève comme si j'étais aussi lourde qu'une plume. Elle quitte la pièce et nous nous retrouvons dans un long couloir d'hôpital, blanc mais, étrangement, vide. Je suis peut-être la seule personne consciente à cet étage. Elle m'emmène dans l'ascenseur et je vois les lumières des étages défiler par la fente entre les portes. Avec un bip sonore et une légère secousse, l’ascenseur se stoppe et les portes s'ouvrent. Nous sommes dans un parking souterrain où nous attend une camionnette. Un homme avec une chemise à carreau s'approche de moi et l'infirmière me laisse dans ses bras. Dans la position où il me tient, je ne peux voir que le sol de goudron.

 

Il m'emporte dans la camionnette où il me plante à nouveau une seringue dans le bras. Cette fois-ci, elle m'endort.

 

Je sens encore les vibrations des roues sur l'asphalte, et les soubresauts à chaque arrêt aux feus. Je reste pourtant incapable d'ouvrir mes paupières.

 

 ++++

 

Je suis dans une chambre vide. Le silence emplit la pièce et je ne peux m'empêcher de forcer ma respiration pour avoir l'impression qu'il se passe quelque chose.

 

Je me redresse dans mon lit et observe les alentours. Dans la pièce, il n'y a que des murs blancs, et aucune fenêtre. La seule source de lumière est l'ampoule fixée au plafond, à plus de 3 mètres du sol. Les seuls ameublements consistent en un lit, une armoire et un miroir.

 

J'essaie de me lever, et cette fois-ci, mes jambes réussissent à me soutenir, même si cela leur demande plus de force que je ne le pensais. Je tente quelques pas, et je manque de tomber sur le miroir. Je me retiens de justesse à l'armoire et observe mon reflet dans le miroir. Je suis méconnaissable.

 

Mes cheveux sont sales, gras et en bataille. D'habitude, ils tombent sur mes épaules en ondulant, noir ébène. Je suis pâle et plus maigre que jamais. On croirait voir une anorexique. Mes joues sont creuses et mes lèvres gercées. Je suis vêtue de la même tenue que toute à l'heure, une chemise de nuit blanche qui m'arrive en-dessous des genoux et je suis pieds nus. La seule et unique chose qui me dit que c'est bien moi, ce sont mes yeux. Verts émeraude. Malgré mes changements, ils pétillent toujours de malice.

 

La porte de l'armoire sur laquelle je m'appuie depuis tout à l'heure s'ouvre sous mon poids et je glisse par terre. L'armoire est vide, sauf si les araignées et la poussière compte. Sinon, elle est vide.

Je donnerais n'importe quoi pour de la nourriture. Mon ventre gémit de n'avoir rien eu pendant ces deux années. Ma bouche est sèche et j'ai soif. Il faut que je sorte, mais la porte est fermée.

 

Qu'est ce que je raconte ?

 

Je m'avance vers la porte en m'appuyant contre le mur. Je tends la main vers la poignée quand j'entends une clé tourner dans la porte. Je recule et trébuche dans ma précipitation. Je me retrouve de nouveau assise sur le lit.

 

-Vous êtes réveillée ? Bien c'est l'heure de votre examen.

 

Un examen ? Je suis dans l'internat de l'horreur, c'est ça ?

 

L'homme n'a pas l'air amical. Ses yeux bruns emplis de cruauté trahissent son sourire qui se veut chaleureux. Il doit avoir la trentaine. Une mèche grise perce au milieu de sa chevelure châtaine. Il me prend la main et me tire dehors. Les couloirs sont vides, et nous les traversons comme des ombres. Sous mes pieds, le carrelage est glacé, et j'ai froid aux jambes. Marcher trop longtemps n'est pas vraiment une bonne chose pour l'instant.

 

Nous arrivons dans une salle d'attente, remplie de jeunes de 10 à 18 ans. L'homme verrouille la porte après mon passage. Les regards des adolescents se tournent immédiatement vers moi, et je reste un instant immobile sur le seuil de la pièce. La plupart ont l'air plus âgé que moi et j'ai 15 ans.

 

Ils ont beau ne pas avoir le même âge, ils ont tous un point commun entre eux, mais je n'arrive pas à trouver lequel. Ils détournent le regard avant que j'ai pu comprendre de quoi il s'agissait.

 

Et puis on entend un prénom – Cassandra White, je crois. Une jeune fille blonde se lève, d'à peu près le même âge que moi. Ses longs cheveux raides sont noués en tresse dans son dos. Elle pénètre dans la pièce d'à côté et ne reviens pas.

 

Les noms défilent, et je reste assise dans mon siège inconfortable en me demandant quand viendra mon tour. Chaque fois, les adolescents sont dos à moi, et je n'arrive pas à voir leurs yeux.

 

A un moment, un certain Freddie Salter se retourne pour récupérer son carnet de dessin qu'il triturait dans tous les sens depuis une demi-heure. Et là, j'aperçois ses yeux gris dans laquelle brille une lueur de folie.

 

La folie.

 

Je suis entourée de gens fous ! Ils m'ont envoyés dans l'asile pour jeunes d'Henrisson City ! Comment ont-ils pu me faire ça ? Je ne suis pas folle ! Je ne suis pas folle, je le sais. Je n'ai pas ma place ici. Je ne suis pas comme tous ces jeunes.

 

J'essaie de rester calme, mais je suis incapable de maîtriser mes émotions. J'ai trop peur qu'ils ne fassent quelque chose, qu'ils déclenchent une bagarre ou qu'ils se mettent à frapper un mur avec leur tête. Que suis-je censée faire dans ses cas-là ? Et s'il y en avait un qui avait déjà tué quelqu'un ? Peut-être qu'il y en a un ici, qui se balade avec un canif dans ses poches !

 

« Reste zen, Morgane, reste zen »

 

Je pense trop, il faut que je me calme. Ce sont certainement d'autres gens comme moi, qui sont ici par erreur. Je sortirais bientôt, ils se rendront bien compte que je ne suis pas folle.

 

J'entends alors mon nom, comme dans un rêve, et je me lève. Je me dirige vers la porte et lance un dernier regard à la salle aux murs crème. Une dizaine d'adolescents sont encore assis ici, tant de jeunes dont la vie a été brisée, déchirée par leurs problèmes quotidiens. Tant de pauvres mineurs incompris.

 

Je remarque alors un jeune dans un coin, qui lit un des magazines auxquels personne n'a touché. Il lève la tête une seconde pour regarder les alentours, et je le reconnais. Ses yeux dorés et ses mèches brunes en bataille, il ne peut s'agir que d'une personne.

 

-Thilas ?

 

++++ 

 

Comment est-ce possible ? Que ferait-t-il ici ? Que je sache, Thilas est la personne la plus saine d'esprit que je connaisse, il ne pourrait pas être ici. Mais ses yeux...ils ne peuvent pas appartenir à quelqu'un d'autre.

 

Je m'assois au bureau. Face à moi se trouve une femme un peu ronde, collée à son fauteuil en cuir, ses cheveux couleur chocolat accrochée en un chignon serré sur le haut de son crâne. Ses yeux bleus me lancent un regard sérieux et légèrement dérangeant.

 

-Mademoiselle Blacks, je vous demanderai d'être plus rapide la prochaine fois pour obéir aux ordres. Il ne faudrait pas que vous désobéissiez aux lois de cet a...de ce lieu dès votre premier jour.

 

Ils ne doivent pas avoir le droit de dire asile pour éviter que les patients réalisent qu'ils sont fous. Cela pourrait avoir des conséquences désastreuses sur leur comportement.

 

-Puisque c'est votre premier jour ici, nous allons vous faire passer des tests et nous détermineront votre cas.

 

Oh, mais ça prend une tournure intéressante ! Elle devrait jouer son rôle de psychologue et me poser de simples petites questions. On se rendra rapidement compte que je ne suis pas folle et on me laissera sortir d'ici.

 

Elles posent quelques questions anodines sur ma vie, si je me plais à Henrisson City, si j'ai déjà voyagé, si j'aime mon frère. Comment sont mes amis, si je m'entends bien avec eux. J'ai l'impression que c'est interminable. Toutes mes réponses sont positives, et je pense m'en être bien sortie, jusqu'à celle-ci.

 

- Avez-vous subi un choc récemment ?

-J'ai perdu ce qu'il me restait de famille, ainsi que mes deux meilleurs amis. Et je viens d'apprendre que j'ai perdu deux ans de ma vie en étant dans le coma.

 

La réaction de la femme est presque drôle tellement elle en est excessive. Ses yeux s'ouvrent si grands que l'on dirait ceux d'un bébé et ses pupilles se dilatent pour prendre toute la place de ses iris. Sa bouche s'ouvre si grand que l'on dirait qu'elle veut manger un ananas en entier et sa main tremble en couchant quelques mots sur le papier du bloc notes.

 

Soudain je réalise. Je suis vraiment seule. Je n'ai plus aucune famille. Plus aucun autre Blacks n'est en vie. Je suis la seule, l'unique, la dernière Blacks encore vivante.

 

Et si deux ans se sont écoulés...Je suis censée avoir... 17 ans ? Impossible. Et je vais bientôt être majeure à part entière. Je n'ai pas du tout l'air d'être une future adulte. On dirait juste une jeune fille en pleine crise de croissance.

 

La femme face à moi continue de parler, mais je ne l'écoute plus. Je suis perdue dans mes pensées, essayant de rattraper le temps perdu du mieux que je peux.

 

-Quel jour sommes nous ?
-Je vous prierai de ne plus me occuper la parole. Et nous sommes le 14 juin si vous voulez savoir.

 

Le 14 juin...Mon anniversaire est dans un peu plus d'une semaine...Tant et si peu à la fois désormais. A quoi sert un anniversaire si personne n'est là pour vous le souhaiter ?

 

J'écoute un peu plus attentivement ce que me dit la femme. Elle dit que je devrais passer un nouvel examen bientôt, que ça ne se passera pas avec elle et que je pourrais bientôt rentrer chez moi, et qu'on me trouvera un oncle ou une tante chez qui habiter.

 

J'aimerais lui dire que je n'ai plus de famille, mais je me dit qu'elle n'a pas besoin de le savoir. Elle me congédie gentiment et me demande de sortir par l'autre porte. Il faut que je trouve Thilas. Lui seul peut m'expliquer ce qu'il sait passé, même si je ne veux pas le voir.

 

Je me retrouve dans un nouveau couloir vide, aux murs grisâtres et avec un faux plafond. Il n'y a pas une seul âme d'un bout à l'autre, si ce n'est moi. Un long silence s'installe, entrecoupé du bruit de mes pas sur le sol gris. Je ne sais pas vraiment où je vais, et tous les couloirs se ressemblent. Je suis incapable de dire si je suis déjà passée par là, où s'il s'agit d'un autre couloir. La seule différence se trouve au niveau des portes, qui indiquent toutes un nombre différent. Malheureusement, avec mon intelligence débordante, je n'ai pas pensé à regarder le numéro inscrit sur la porte de la mienne.

 

Au bout de plusieurs minutes, je finis pas m'avouer totalement perdue. J'ai dû tourner une centaine de fois à gauche et à droite, et je suis bien incapable de retrouver mon chemin. Il faut juste que je trouve quelqu'un, mais c'est peine perdu. Il n'y a personne.

 

-Excuse-moi ! Je ne t'avais pas vue !

 

Tombées toutes les deux par terre, j'aide la jeune fille face à moi à se relever. Elle rejette ses cheveux blonds en arrière et son visage m'apparaît alors. Je reconnais Cassandra White, la jeune fille de tout à l'heure. Nous sommes comme deux opposées, elle grande, blonde aux cheveux raides, avec deux grand yeux bleus, et moi, petite, brune aux cheveux ondulés et aux yeux verts. Si différente, et pourtant, je vois bien qu'elle n'est pas non plus une folle. Nous sommes deux à ne pas avoir notre place ici. Et je vois bien qu'elle aussi la remarqué.

 

-Je suis Morgane, et toi, tu dois être Cassandra ?

 

Elle hausse un sourcil, se demandant comment j'ai pu le savoir, puis, avec un léger haussement d'épaule, hoche la tête.

 

-Tu pourrais m'aider à trouver quelqu'un ? Je suis un peu perdue et je ne connais personne...

 

Elle me jette un regard noir et se relève.

 

-Au pire j'ai rien à faire. Tu cherches qui ?

-Un mec qui s'appelle Thilas Grey.

 

Elle me jette un regard en biais, comme si c'était étrange de chercher son ex petit ami.

 

-Connais pas. C'est peut-être un nouveau. Normalement je connais tout le monde ici. Mais je crois qu'il n'existe tout simplement pas.

 

Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais je sens que je vais aimer cette fille. Elle n'a pas l'air vraiment sociale, mais nos différences peuvent s'avérer être des atouts pour nous entendre.

 

J'entends des pas derrière nous et je me retourne. Derrière moi se trouve le jeune homme qui m'a accompagné pour « l'examen »

 

-Mademoiselle Blacks, pouvez vous m'expliquer la raison de votre présence ici ? Retournez immédiatement dans votre chambre !

 

Je cherche du secours auprès de Cassandra, mais celle-ci s'est volatilisée, comme une ombre.


-Je me suis perdue, je mens, même si un en partie vrai. Vous pouvez m'aider à regagner ma chambre ?

 

Avec un soupir, il me fait signe de le suivre, et il retrouve la porte de ma chambre comme si le chemin était éclairé par des milliers de lanternes. Je ne pense pas réussir à m'y habituer un jour.

 

La porte est verrouillée après mon passage, et je me retrouve au même endroit que tout à l'heure, seule une fois de plus. Je m'assois sur le lit et observe le vide intersidéral de mon armoire, toujours ouverte depuis la dernière fois. Une araignée se balade sur la troisième étagère, et je l'observe avancer sur ses 8 pattes d'un bout à l'autre de la planche, rapide. Je ne pensais pas m'ennuyer un jour au point d'observer une arachnide marcher et faire sa toile. Mais, je dois avouer que c'est magnifique de la voir tisser ces fils aussi minutieusement.

 

Je ne saurais dire combien de temps se sont écoulés, mais la porte s'ouvre à nouveau. Cette fois-ci, c'est une femme rousse qui m'accompagne jusqu'à un réfectoire. Et j'ai enfin croisé des gens dans le couloir, certains seuls et d'autres non, mais tous silencieux.

 

Le réfectoire consiste en une cafétéria banale, quoique plus grande que la moyenne. Plusieurs dizaines de jeunes sont déjà assis à des tables, la plupart seuls, et je cherche parmi eux la chevelure brune de Thilas, sans le trouver.

 

Je fais la queue parmi les autres, observant l'entrée principale en espérant pouvoir le voir entrer. A la suite des adolescents, je me sers de notre repas et des couverts – en plastique, et non en métal, ce qui confirme bien ma crainte des crises de folies de certains – et rejoins une table vide sans n'avoir pu le trouver.

 

-Je peux m'asseoir ?

 

Cassandra pose son plateau sur la table avant même que j'ai pu répondre, comme si elle savait d'avance que ma réponse serait positive. Ou juste par simple impolitesse.

 

-Comment tu as fait tout à l'heure pour... ?
-Chut, dit-elle en lançant un regard aux adultes dispersés un peu partout dans la salle. J'ai mes secrets et mon intimité, j'aimerais bien les garder pour moi, si tu vois ce que je veux dire. Ils n'aiment pas trop que nous parlions entre nous.

 

Je fais comme si je n'avais jamais vu Cassandra auparavant et je continue de manger. Ils détournent enfin le regard et elle me glisse un papier dans la main.

 

-Pas ici, dans ta chambre.

 

Elle se lève et pars déposer son plateau. J'attends un peu pour éviter tous soupçons et le dépose à mon tour. Une fois dehors, je réalise que je ne sais toujours pas me repérer, et je demande à un des surveillants de m'accompagner. Il rigole, alors que je ne vois pas vraiment où est l'humour dans un lieu pareil.

 

Une fois dans ma chambre, je commence à déplier ma lettre, mais le papier m'échappe des mains et glisse sous le lit. En me baissant pour le chercher, je tâtonne et tombe sur un objet circulaire, envahi par la poussière. Quand je le sors, je me rend compte qu'il s'agit d'une lampe torche, qui m'a l'air hors d'usage. Je souffle un peu dessus pour enlever la poussière et les fils de toiles d'araignée. En appuyant sur l'interrupteur, je suis étonnée de voir la lumière s'allumer.

 

Je retourne chercher la lettre et la lit.

 

« Si c'est bien ton premier jour ici, il devrait te placer en test et laisser ta porte ouverte. Je te conseille de faire donc attention quand tu sortiras pour ne pas être vue. Si tu suis bien mes instructions, il ne devrait pas trouver que tu es un cas grave. Rejoins-moi ce soir, à 21 heures dans la salle informatique. Tel que j'ai pu le comprendre, tu mettrais des heures à arriver, donc je t'ai fait un plan que tu trouveras au dos de cette feuille. J'ai des choses très importantes à te dire alors ne reste pas enfermée dans ta chambre. Il se pourrait que j'aie trouvé ce que tu cherches.

Cassandra, ta presque nouvelle amie.»

 

Je regarde le plan, qui me sera bien plus utile à l'avenir. Ca ne devrait pas être trop difficile à trouver. Alors que je m'apprête à sortir, je me rappelle de la lampe, et je la récupère. Ca pourra toujours être utile.

 

Discrètement, je pousse la porte de ma chambre et sors dans le couloir.



    10/06/2015
    2 Poster un commentaire

    Chapitre 1

    Chapitre 1

    La fin d'une vie

     

     

    C'est bientôt l'été. Assise au fond de la voiture, j'observe le paysage crépusculaire défiler. Il y a peu de voitures sur l'autoroute. Les vacanciers doivent sûrement être parti dans la matinée.

     

     

    A ma droite se trouve Capucine et Liam, mes deux meilleurs amis. Ils discutent de notre journée.

     

     

    Aujourd'hui, c'était l'anniversaire de Peter. Il fêtait ses 16 ans, tout comme moi dans deux semaines. Pour cette occasion, nous avions décidé d'organiser une journée au DisneyWorld d'Orlando. Je nous revois en train de crier dans le roller-coaster et de dévorer une barbe à papa dans la queue d'une attraction. Ce fut une merveilleuse journée. Du genre que l'on oublie jamais.

     

     

    Dans mon dos, Lena me tapote l'épaule. Je me retourne vers elle. Sa chevelure de feu éclaire son regard ambré. Elle brandit son portable et sourit.

     

     

    -On peut échanger nos places? Thilas veut te parler.

     

     

    Je hoche la tête et passe par-dessus le siège. Une fois assise sur la banquette arrière, j'entends Capucine et Lena rire en revoyant nos photos. A coup sûr, en me réveillant demain matin, je découvrirai mon fil d'actualité facebook rempli de photos dossiers où on me verrait déguiser en Raiponce et avec des oreilles de Minnie. Et je pourrais rire pendant encore une semaine.

     

     

    Je raccroche ma ceinture et observe le visage rieur de Thilas. Il se moque de Peter. Et en le regardant moi aussi, je ne peux m'empêcher de rire. Il est recouvert d'un déguisement de Peter Pan – collants verts moulants compris – et ses cheveux châtains sont emmêlés avec les serpentins multicolores qu'on lui a lancé.

     

     

    Sa moue boudeuse cache en réalité une grande joie. Il n'a pas digéré d'être obligé de se déguiser pour nous accompagner. Mais je sais qu'en vrai, il est super heureux de sa journée. Ça se lit dans ses yeux verts dorés.

     

     

    Thilas se rend enfin compte que je suis là et se tourne vers moi. Comme à chaque fois que son regard doré croise le mien émeraude, je me sens gênée. Même s'il s'en doute, les autres ne savent pas que nous sommes ensemble. Voilà bientôt un semestre que nous nous retrouvons en secret le soir et nous ne savons pas comment l'annoncer aux autres.

     

     

    -Alors, cette journée?

     

     

    Je me doute bien qu'il connaît déjà la réponse et qu'il ne s'agit pas de la raison pour laquelle il m'a fait venir.

     

     

    -C'était vraiment génial! Franchement, on devrai faire ça plus souvent!

     

     

    J'entends Peter grogner.

     

     

    -Tu n'es pas d'accord? lui demande-t-il.

     

     

    Peter ricane. Un sourire apparaît sur son visage.

     

     

    -Je suis d'accord. A une seule condition. La prochaine fois, c'est toi qui te déguise en Winnie l'Ourson.

     

     

    J'imagine un instant Thilas revenir en enfance le temps d'une journée, le voir revêtir le costume jaune du petit ours. Je vois déjà sa tête : blasée, une lueur de honte mêlée à la colère dans ses yeux. Si ne serait qu'une seule personne du lycée le vois, il pourra dire adieu à sa réputation auprès des autres. Plus de Thilas beau garçon qui fait rêver toutes les jeunes filles, ni de Thilas sérieux et intelligent avec un grand avenir.

     

     

    Heureusement, je ne l'obligerais jamais à faire ça. Et à voir le regard noir que lance Thilas à Peter, ce n'est pas près de se produire.

     

     

    -Bizarrement, je ne t'inviterai que si tu enfiles celui de Tigrou.

     

     

    Devant le sérieux que garde Thilas, Peter et moi ne pouvons nous empêcher d'éclater de rire. Il se joint à nous, et nous nous arrêtons seulement lorsque la voiture se stoppe et que les parents de Dean demande à Peter de descendre.

     

     

    Nous le raccompagnons jusqu'à la port de chez lui en fanfare. En bas de son immeuble, il écoute une dernière fois "Joyeux anniversaire" avant d'être recouvert de nouveau d'une multitude de serpentins. Lena gâche même une de ses bougies spéciales événements pour l'occasion. Les étincelles volent dans le ciel puis s'éteigne avec nos applaudissements.

     

     

    Nous regagnons la voiture, tout sourire. Direction le quartier résidentiel! Peter est le seul d'entre nous à vivre en appartement, seul. Il a eu quelques problèmes familiaux quand ses parents se sont divorcés.

     

     

    Nous roulons quelques minutes sur le bitume avant d'atteindre notre quartier. Les maisons, presque toutes identiques se succèdent dans les allées, éclairées par la lune et les lampadaires.

     

     

    Nous nous arrêtons devant une maison grise et Lena descend. Je la serre dans mes bras et la salue de la main tandis qu'elle remonte l'allée jusqu'au proche de chez elle. Quand elle sonne, son petit frère, Nathan, sort sa tignasse rousse et lui saute dans les bras. Je sourie et regagne la voiture.

     

     

    -D'accord.

     

     

    Je me tourne vers les parents de Liam, assis à l'avant de la voiture.

     

     

    -Vous pouvez continuer sans moi, je rentrerais à pied.

     

     

    Je suis Thilas dans la rue. Il ne se dirige pas vers chez lui mais vers chez moi, au nord. Il ne dit pas un mot, et je ne fais que marcher pour suivre sa silhouette élancée et athlétique. Ses cheveux noirs volent au vent. Avec son jean et son T-shirt noir, il joue avec les ombres et s'y cache aisément. Je le vois parfois disparaître entre la lumière des lampadaires. C'est dérangeant.

     

     

    Soudain, il s'arrête. Il observe les alentours, vide de toute vie. Il n'y a personne dans la rue, si ce n'est nous deux, et un chat noir qui sort d'une poubelle et s'enfuit en courant.

     

     

    Quand il se retourne vers moi, à peine nos regards croisés, on s'étreint. Lorsque l'on s'embrasse, ses lèvres douces et chaudes se posent sur les miennes. Il sent l'odeur du pin et de la rose. Ce parfum étrange est envoûtant. J'ai envie de rester à jamais dans ses bras, de ne jamais plus le quitter. Sa poitrine contre la mienne, j'ai peur qu'il parte.

     

     

    Ses lèvres ont soudain un goût salé, et je desserre notre étreinte. Ses joues sont mouillées de larmes. Qu'est ce que ça signifie? Je passe ma main sur sa joue pour enlever ses larmes.

     

     

    -Que t'arrive-t-il?

     

     

    Il détourne le regard et prend quelque chose dans sa poche. C'est un paquet informe, enveloppé dans du papier journal. Il est à peine plus gros que sa main.

     

     

    -Explique moi, Thilas. Je ne comprends pas...

     

     

    Il baisse les yeux. C'est la première que je le vois ainsi, vulnérable et fragile, loin des lumières du lycée et des regards des autres élèves.

     

     

    -Je suis désolé...Je ne le voulais pas...Je dois partir...Je n'y suis pour rien, comprends-le...Je t'en supplie...Pardonne-moi pour ce qui va arriver...Je...Je n'étais pas d'accord.

     

     

    Il a l'air totalement appeuré et effrayé. Je suis perdue, je ne comprends rien à ce qu'il se passe. J'essaie de lui prendre les mains pour le rassurer, mais celles-ci tremblent. Son regard fait tout pour m'échapper.

     

     

    -Je n'ai pas le choix, crois-moi. Nous n'avons plus beaucoup de temps, dit-il en vérifiant que nous soyons toujours seuls. Ils ne vont pas tarder. Ne...Pardonne-moi...Je t'aimerais toujours, Morgane.

     

     

    Il me donne le paquet qu'il tenait dans la main.

     

     

    -Ne t'en sépare en aucun cas. Jamais.

     

     

    Encore sous le choc de l'incompréhension, je le regarde partir en courant. Alors que j'essaie de le suivre, sa silhouette disparaît définitivement entre les ombres.

     

     

    Je réalise alors que mes yeux me brûlent et que mes joues sont mouillées de larmes. Mon subconscient le sait : c'est la dernière fois que je le vois. Je me laisse aller et toutes les larmes de mon corps s'échappent. J'ai l'impression d'être une fontaine. Quand je m'arrête enfin de pleurer, je suis toujours dans la ruelle. Après la tristesse, c'est la colère qui me submerge. Je donne un grand coup dans une des barrières blanches d'une coquette maison et lance l'emballage de papier journal au loin.

     

     

    Je me dirige vers chez moi et m'arrête brusquement. "Ne t'en sépare en aucun cas." Je regarde le morceau de papier au sol. Thilas m'a dit de le garder. Je ne devrais pas refuser son offre. Un cadeau est un cadeau, peu importe ce qu'il représente.

     

     

    Je ramasse la boule qui gît sur le trottoir et hésite à l'ouvrir. Finalement, j'attendrai d'être chez moi.

     

     

    Tandis que je marche sur le trottoir, j'essaie de ne pas penser au départ de Thilas. Mes pensées sont tournées vers notre journée et nos moments de joie – comme quand nous avons mangé de la barbe à papa sous l'oeil curieux de l'objectif de l'appareil photo de Thilas. Je n'arrive pas à ne pas penser à lui. Où que je sois, il est aussi, où que je vois, il est aussi. Comment n'ai-je pas pu remarquer qu'il avait un comportement différent aujourd'hui? Il devait déjà savoir que ce serait le dernier jour où nous serions ensemble. Et pourquoi ne m’a-t-il pas dit se qu’il allait se passer ? Qui sont ceux qui vont arriver et que vont-ils faire ? Thilas avait l’air si effrayé….C’est à vous prendre la tête.

     

     

    Un bruit sourd se fait entendre un peu plus loin et me sors de mes pensées négatives. Je réalise alors que cela vient de ma rue. Je me précipite dans l’allée des Ormes, alertée par ce trouble. Au loin, une voiture vient de rentrer dans un des nombreux arbres de la rue. Sans même réfléchir au secours, je me presse vers le véhicule.

     

     

    A quelques mètres de la voiture, j’aperçois plusieurs personnes coincées à l’intérieur. Il faut les sortir de là et appeler les…

     

     

    Je m’envole au loin, et me retrouve allongée sur l’asphalte, à moitié assommée. Ma tête heurte le sol et la violence du choc se répercute dans tout mon corps. Ma vision se floute et mes oreilles bourdonnent. Un vacarme métallique résonne près de ma tête et je réussi à entrouvrir les yeux. Pour le moment, ils mes permettent juste de voir une plaque, que je suppose métallique, d’où le bruit.

     

     

    Quand ma vision redevient normale, je comprends qu’il s’agit d’une plaque d’immatriculation de la voiture. Lentement, les caractères de la plaque floridienne m’apparaissent.

     


     

     

    Mes yeux s’ouvrent d’un coup. Je connais cette plaque….c’est celle de la voiture de Liam.

     

     

    Je me redresse et le cri que j’avais dans la gorge y reste. Chaque mot que j’ai envie de prononcer pour injurier le monde ne veut pas sortir. Mes yeux me brûlent, je retombe au sol, la tête qui tourne. J’ai tout vu, tout est gravé dans ma mémoire.

     

     

    La voiture a explosé, et sa plaque a voltigé avec moi. Nous sommes à une dizaine de mètres de la carcasse encore fumantes. Les volutes de fumées montent dans le ciel. Des habitants étonnés sortent chez eux en robe de chambre et en pyjama. Ce qu’il reste de la voiture est dispersé un peu partout sur la route.

     

     

    J’ai beau ne pas vouloir me l’avouer, je le sais au fond de moi. Ils ne peuvent pas avoir survécu, ils ne peuvent pas…Les larmes me viennent, et, cette fois, je ne les retiens pas. Elles coulent sur le sol, témoignant de ma tristesse et de ma douleur atroce.

     

     

     

    ++++

     

     

     

    Ma mère, comme tous les voisins, a été attirée par le bruit. Elle m’a vue, couchée au sol et en larmes, et m’a ramené jusqu’à la maison en me traînant. Je ne voulais pas bouger. Je ne voulais plus bouger. Je voulais juste rester là et agoniser en paix, sans personne pour déranger ma peine et mon chagrin..

     

     

    Je suis désormais dans ma chambre, le regard perdu sur le mur face à mon lit. Sur celui-ci se trouve les affiches de mes groupes, chanteurs et acteurs préférés, ainsi qu’un poster gigantesque de Londres. Un peu partout sont punaisés des photos de mi et mes amis à tous les stades de ma vie. En voyant nos sourires, nos grimaces, nos blagues et tous ces moments de joies rassemblés en si peu d’espace, la nostalgie et le désespoir. Je me plaque contre le mur et ferme les yeux. Ne pas penser, maîtrise toi, ne pas penser. Je me sens si mal, si…furieuse ! Sans savoir pourquoi, j’ai envie de tout casser, de tout briser.

     

     

     

    J’ai besoin que quelqu’un m’aide, que quelqu’un me dise quoi faire, me fasse penser à autre chose, me console, que quelqu’un puisse me sentir de cette affliction…

     

     

    -Pourquoi tu pleures ?

     

     

    Je rouvre mes yeux, que je n’avais pas vus trempés de larmes.

     

     

     

    Devant se trouve mon petit frère, Dean, âgé de 10 ans. Il s’assoit par terre dans ma chambre. Notre ressemblance est frappante. Nous avons les mêmes cheveux noirs, ondulés et impossible à coiffer, les mêmes yeux verts émeraude, quoique plus clairs chez lui, le même nez fin, le même sourire sur nos lèvres roses. S’il était plus grande et plus mâture, nous croirions que nous sommes jumeaux. Mais là, je n’ai pas l’impression de ressembler à ce petit ange brun.

     

     

    -Faut pas pleurer, faut rire et profiter de sa vie !

     

     

    Je suis étonnée qu’il se souvienne de ça. C’est une de mes phrases fétiches, que je lui sors chaque fois qu’il pleure parce qu’il se fait mal. D’habitude, c’est moi qui le lui dit, pas l’inverse. C’est dérangeant. Je ne pleure plus, mais la tristesse est toujours présente. Mon petit frère a peut-être le pouvoir d’arrêter mes larmes, mais pas celui de me rendre le sourire.

     

     

    -Va dormir, petite abeille, il est tard.

     

    -D’accord la coccinelle.

     

     

     

    ++++

     

     

     

    Je n'arrive pas à dormir. Quoi que je fasse, dès l'instant où je ferme les yeux, je revois le départ de Thilas et les débris fumants de la voiture. Mes pensées me turlupinent et s'emmêlent pour former un kaléidoscope de sentiments. Toutes mes émotions se mélangent, et je ne sais plus si je dois dormir, mourir, pleurer, crier, out démolir ou rire de ma folie intérieure.

     

     

    J'observe le noir de ma chambre. Je ne sais pas quoi faire. J'allume ma lampe de chevet et me décide enfin à ouvrir le paquet de Thilas. Quand je retire le papier journal, un pincement au cœur me saisi. A l'intérieur se trouve une simple boîte rouge, sur laquelle est collée un post-it fluo. « Garde-le, et porte-le chaque seconde, il te protégera, je t'aimerais toujours. Thilas » . Sans comprendre, je soulève le couvercle et découvre un pendentif relié à une chaîne. Celui-ci représente un pentacle. Dans mon souvenir, il est censé être un des symboles de magie noire. Comment cela peut-il me protéger ?

     

     

     

    Une légère fente se trouve sur le côté, et, en tirant un peu, le pendentif s'ouvre. A l'intérieur se trouve deux photos. Toutes deux me brisent le cœur. La première représente ma famille, à l'époque où mes grands-parents, mes oncles et tantes et mon cousin n'étaient pas morts. Nous serions tous à l'objectif. Je sens les larmes me monter aux yeux. Sur l'autre, c'est Thilas et moi qui apparaissons, tout sourire, une barbe à papa dans la main. C'était aujourd'hui. Comment a-t-il eu le temps de mettre la photo à l'intérieur du pendentif ? Il était vraiment en courant de tout ce qui allait se passer alors...J'essaie de ne pas y penser. Je referme le pendentif et le serre dans ma main.

     

     

    Dehors, j'entends le vent souffler dans les branches des ormes qui borde la rue. J'essaie d'imaginer mon jardin en ce moment, pour essayer de détendre mes émotions. Je ferme les yeux et me concentre sur chaque détails.

     

     

    Je sors de la maison. Il fait nuit et je marche sur le petit chemin de dalles de pierre qui mène jusqu'au bout de notre jardin, la forêt. Je m'arrête. Sur les côtés de l'allée, ma mère a planté des pensées et des jacinthes. Celles-ci sont en fleur et dégage une odeur agréable. Plus loin, sur la droite, se trouve notre piscine, couverte pour la nuit. Le chemin s'y arrête. Mais si on continue dans l'herbe, on tombe sur le potager. Inexplicablement, mais parents ont décidé de planter nos légumes exactement à l'endroit où se trouvait un chêne centenaire. Entre les plants de tomates et les patates se trouve ainsi les racines et le tronc du grand arbre. Derrière la piscine, nous avons aussi trois arbres fruitier : un pommier, un prunier et un cerisier. Il y a quelques mois, celui-ci était en fleur, mais désormais, le petites baies rouges pointent leur nez dans ses branches. Il ne reste plus qu'une chose dans mon jardin, qui peu importe la saison, ne change pas. C'est notre cabane secrète. Qui, en réalité, n'a rien de secret. Mes amis et moi aimons nous y réfugier après les cours. C'est comme un foyer.

     

     

    Et voilà que je repense à nous. A ce que nous étions. Peu importe mes souvenirs, où les lieux auxquels je pense, ils sont toujours présents. A chaque moment de ma vie, ils étaient là, évoluant comme moi, avec leurs goûts et leurs couleurs, leurs blagues, leurs rires et leurs émotions.

     

     

    Je rouvre mes paupières. J'ai entendu du bruit dans le couloir j'en suis sûre. Des pas rapides, pressés. Ma mère ouvre ma porte brusquement et me tire du lit.

     

     

    -Dépêche toi. Il ne faut pas perdre de temps.

     

    -Que se passe-t-il ?

     

     

    Ma mère secoue la tête et continue de me tirer le bras. C'est la première fois que je la vois comme ça, et elle n'a pas l'air de vouloir m'en dire la raison. J'ai beau lui demander plusieurs fois, elle continue de secouer négativement la tête. Elle regarde à gauche et à droite comme si elle attendait quelque chose qui ne viendrait pas.

     

     

    Nous passons le seuil de la porte. Ma mère continue d'avancer à grandes enjambées, comme si sa vie en dépendait mais qu'elle ne pouvait pas courir. Ses pieds claquent sur les dalles de pierre et j'essaie de suivre son allure sans trébucher.

     

     

    -Va jusqu'à la cabane, et enferme-toi à l'intérieur. Je vais chercher ton frère et ton père.

     

     

    Que peut-il se passer de si important pour qu'elle nous réveille tous en pleine nuit ? Et pourquoi est-t-elle venue me chercher en premier ?

     

     

    Je n'ai pas le temps de lui poser toutes les questions qui me taraudent. Ma mère s'est déjà enfuie au bout de l'allée, et je n'ai plus d'autres solutions que d'entrer dans la cabane.

     

     

    Avec un grincement, la porte s'ouvre sur ce qui fut notre refuge « presque » secret. J'ai comme l'impression d'entendre encore les rires de Capucine, et le grincement du hamac sous le poids de Peter. Je vois Thilas et Liam assis dans le canapé, un verre de soda à la main, quand ce n'était pas de la bière. Et au fond, près de a fenêtre, Lena qui me faisait signe, un cigarette à la main. Cet endroit est trop plein de souvenir impérissables et je reste un instant sur le seuil, perdue, me demandant si j'ai encore le droit d'entrer où si je devrais laisser l'endroit ainsi.

     

     

     

    J'entre finalement à l'intérieur et referme la porte. Je me laisse glisser jusqu'au plancher et observe la cabane depuis ici. Je retrouve la même vision que quand j'avais 5 à peine, à l'époque où je ne connaissais que Liam et Capucine. Je clos mes paupières et essaie de penser aux couleurs. Aux couleurs du ciel, au jeu de lumière, à l'ombre, aux nuages et à la lune. J'aime la lune. Plus que le soleil. Peut-être parce qu'elle, je peux la regarder aussi aisément que je le veux. Je me lève et m'approche de la lucarne. Ce soir, elle est d'un blanc pur, et nul nuage ne la gêne. Je l'observe briller de mille feux dans toute sa splendeur nocturne. Elle m'apaise et me détends.

     

     

    Une ombre passe dans sa lumière, trop sombre pour être un simple nuage. La forme s'étend, d'un gris sombre, avant de remplir tout l'espace du ciel. Au loin, un cri aigu perce le silence. Je sursaute et me dirige vers la fenêtre face sud. Elle est un peu sale, mais, au travers, je vois le carnage.

     

     

    Ma maison est en flammes. Le feu la dévore de tout part, montant toujours plus haut. Même d'ici, je sens la chaleur qu'il dégage. Des silhouettes glissent comme des ombres autour de l'incendie, y lançant parfois des objets qui font enfler le feu. Les flammes grattent le ciel et l'emplissent de leurs couleurs chaudes et chatoyantes. Je suis à la fois horrifiée et hypnotisée par ce spectacle.

     

     

     

    Jusqu'à ce qu'un cri perce ma contemplation et le silence. Il me sort de ma torpeur, et mes yeux se révulsent. C'est ma maison. Ma maison qui brûle. Et mes parents qui sont à l'intérieur.

     

     

    Je tombe à genoux ; Je n'ai aucun moyen de les sortir de là. J'ai laissé mon portable dans les flammes, et je n'ai rien pour contacter les secours. Je ne peux que rester impuissante face à ce désastre. Un cri s'échappe de ma gorge, fuyant mon corps. Il cours dans la cabane et s'en échappe. Il fuit au travers de la fenêtre et disparaît dans le lointain.

     

     

    Qui sont ces gens ? Que me veulent-t-ils ? En veut-il à moi, ma famille ou mes amis ? S'agit-t-il d'une vengeance ? J'ai beau chercher, je ne vois pas ce que j'aurai pu faire pour provoquer la colère de ces gens. Quand j'essaie de les reconnaître, je ne les trouve pas. Ils se sont envolés.

     

     

    J'essaie d'ouvrir la porte, mais elle est verrouillée de l'extérieur. Je suis coincée ici. La fenêtre est trop rouillée pour s'ouvrir et la lucarne est trop haute. Il faudrait que je trouve quelque chose pour y grimper, mais la stabilité du hamac laisse à désirer.

     

     

    Une ombre passe sur la fenêtre. Quand je regarde à nouveau, deux yeux rouges me fixent, puis disparaisse. Je commence à trembler. J'entends une sorte d'hurlement, puis quelque chose qui tombe contre la porte. Aussitôt, celle-ci commence à s'enflammer. Je crie et m'en éloigne, mais d'autres explosifs tombent sur les murs en bois. Je suis cernée par les flammes, impuissante.

     

     

    Il n'y a plus aucune échappatoire, plus aucune sortie. Les flammes dévorent tout, et je le sens déjà sur mon corps. La chaleur est intense, et je me recroqueville au sol. En essayant de laisser le moins d'espace possible aux flammes, je prie tout bas pour que quelqu'un appelle les pompiers. Il y a peu de chance que cela arrive, je le sais, mais prier m'empêche de penser à l'incendie.

     

     

     

    J'entends le monde s'effondrer autour de moi. Je crie, de plus en plus fort, sans m'arrêter. Le feu s'attaque en premier à ma jambe, puis je le sens glisser le long de mes vêtements. Je me débats, incapable de résister à cette chaleur.

     

     

    Soudain, je ressens une brûlure au niveau du cou. En ouvrant mes yeux, j'aperçois une grande lumière au centre de cette fumée. Je clos mes paupières et m'enfonce dans les abysses de la nuit...

     

     

     

     


    15/04/2015
    8 Poster un commentaire