Dark Night

Dark Night

~ Chapitre 5 ~


~ Chapitre 5 ~

Chapitre 5 :

Thérapie

 

 

D'abord, il y eut le froid. Puis soudain, plus rien, que cette impression d'être entourée et paralysée dans de la glace. Je ne sens rien. Je n'entends rien. Je ne sais pas ce qui se passe, et je ferme à nouveau mes yeux, attendant que quelque chose arrive. Sans aucune idée de ce qu'il peut se passer, je patiente, immobile, jusqu'à ce que le sommeil m'emporte.

 

++++

 

-...tant qu'elle n'a pas ouvert les yeux.

Lentement, mes paupières laissent place à la lumière du jour. Mes pupilles encore fatiguées essaient de distinguer l'endroit où je me trouve, sans succès. Pourquoi ai-je l'impression de reconnaître ces murs blancs et ces draps couleur de neige ?

Mon esprit encore embrumé a dû mal à réfléchir. Mais je sais bien que cet impression de déjà vu n'est pas sortie de mon imagination.

Au-dessus de moi, l'homme se lève et sourit, dévoilant des dents non alignées et jaunies par le temps. Une barbe grise de quelques jours pousse sur son menton, renforçant son regard gris acier. C'est un homme de presque cinquante ans qui se trouve au-dessus de moi, presque chauve. Ses quelques cheveux gris se battent entre eux pour savoir où prendre place sur son crâne dégarni.

Mes yeux distinguent la plaque qu'il porte sur sa chemise :

 

CHARLES BRUCES BROWNING

PSYCHIATRE

GREEN HOSPITAL

 

Non !!! Je dois rêver, ce n'est pas possible...Je ne peux pas être revenue à la case départ. Pas dans cet horrible asile !

Je ne sais même plus où j'étais la veille, avant de m'endormir. J'ai un mal de crâne horrible, comme si quelqu'un serait ma tête dans un étau, suffisamment pour que je souffre mais qu'elle n'explose pas. J'ai affreusement froid.

-Qu'est ce que je fais ici ? Demandé-je en me redressant, ma tête entre les mains.

-Vous êtes là où vous auriez dû être hier soir. A l'hôpital.

Il se redresse et se dirige vers un petit bureau, où il récupère un dossier.

-Selon les enregistrements d'hier soir, la dénommée Morgane Blacks serait sortir de sa chambre à 20h49, avant de rejoindre la salle informatique. Nous avons ensuite retrouvé vos traces devant notre hôpital, presque une heure après. Vous êtes partie en ville, et, après avoir alertée la moitié d'un commissariat, nous vous avons repêché dans la rivière Henrisson. Le niez-vous ?

Je me souviens alors des mots de Cassandra. Si c'est bien ton premier jour ici, il devrait te placer en test et laisser ta porte ouverte. Je te conseille de faire donc attention quand tu sortiras pour ne pas être vue. Si tu suis bien mes instructions, il ne devrait pas trouver que tu es un cas grave.

Quelle a été mon erreur ? Qu'est ce qui a pu faire que j'ai été vue ? Mes souvenirs me reviennent lentement en tête.

Tout. Le bruit de mes pas, la lumière, mes amis qui sont venus me chercher, notre course dans les couloirs. Tout a permis de me faire repérer. Lena avait raison...Je suis la fille la moins discrète du monde.

Cela ne sert à rien de nier. Ils ont des preuves. Et même si je n'ai pas le souvenir d'avoir ameutée la police ou même d'avoir été ramenée jusqu'ici, c'est ce qu'il s'est passé. Heureusement, ils ignorent ce qu'il s'est passé dans la forêt.

-Non. C'est la vérité.

D'ailleurs suis-je bien sûre de ce que j'ai pu y voir ? Tout cela n'avait rien de réel. En y repensant, j'ai l'impression d'avoir rêvé. Les mots que j'ai entendu, la soudaine apparition de Thilas, la vitesse de course de ces gens....Peut-être qu'ils ont raison, que je suis vraiment folle, que j'ai ma place ici. Peut-être que, comme BabyDoll dans Sucker Punch, j'ai trop d'imagination, et je m'en sers pour m'échapper. Je ne sais pas. Je suis perdue dans ma propre tête.

-Au moins, vous êtes un minimum lucide.

Il se lève de sa chaise tournante et se rapproche de moi. Son regard se plonge dans le mien. J'essaie d'y voir une once de chaleur, de pitié, mais il est complètement froid, vide d'émotions.

-Nous n'étions pas censé en arrivé à ce stade aussi vite. Nous allons devoir accélérer votre traitement, déclare-t-il enfin au bout d'un moment, d'un air posé, calme et qui se veut rassurant. Votre thérapie commencera dans une heure. Je vous conseille de réfléchir à vos actes d'hier soir en attendant mon retour.

Il quitte la pièce par l'unique porte. Avant même que la pensée de quitter la pièce après lui me soit venue à l'esprit, le bruit habituel de la clé dans la serrure retentit.

J'ai une heure.

 

++++

 

Cassandra observe le mur face à elle. Le même mur gris qui avait été là depuis près de dix ans. Ces même traces de poussière le long de la plainte, qui commencent à s'entasser et à former de plus gros moutons. Sur sa droite, il y a son lit, fait au carré, dont les draps étaient blancs, qu'elle venait juste de quitter.

Elle est assise et attends. Elle sait qu'ils viendront bientôt la chercher, encore, comme chaque semaine, lorsque neuf heures sonneront. C'est toujours la même chose, les mêmes phrases, en boucle. Les mêmes histoires de traitement, les mêmes « infirmiers » qui l'emmenent dans ces mêmes couloirs blancs, trop blanc, bien trop blanc pour elle. Toujours la même chose.

Sa vie n'était qu'une succession d'événements identiques en tout point, un cycle éternel qui ne se finissait jamais. Pourquoi restait-elle en vie ? Elle avait cherché longtemps une raison, et elle l'avait trouvé la vieille. L'espoir. L'espoir de revoir un jour la lumière naturelle de l'extérieur, de sentir l'air frais sur son visage, le vent dans ses cheveux. L'espoir de s'échapper de cet endroit maudit qui la retient prisonnière depuis bien trop longtemps. Elle veut juste être libre de cet asile où elle n'a pas sa place. Elle n'est pas folle, et elle le sait. Sa seule erreur a été de ne pas savoir se contrôler. C'était il y a si longtemps...

 

-Il l'avait cherché ! C'était de sa faute !

L'infirmière et la directrice de l'orphelinat se dressaient devant elle. Si la première tremblait en regardant la petite fille qui se trouvait devant elle, la directrice, elle, gardait son calme et la fixait d'un air sévère, le regard dur et froid.

-Peu importe Cassandra. Ce que tu as fait est pire que mal. Et tu sais ce que ça signifie pour toi. J'ai tout fait pour te trouver des excuses, pour te permettre de rester, mais s'en est trop.

La petit fille avait les larmes aux yeux. Oui, elle savait ce que cela signifiait. Mais Oliver l'avait mérité. Il avait mérité ce qui lui était arrivé autant que les autres. Tous, tous les autres enfants de l'orphelinat, ils murmuraient dans son dos, répandaient des rumeurs, l'insultaient de monstre, d'être inhumain. Elle était haïe par tous. Même les adultes l'évitaient, s'éloignant dans les couloirs.

Elle avait su garder son calme. Les ignorer, s'asseoir seule dans un coin de la bibliothèque et lire, sans penser à ça. Mais Oliver avait été trop loin. Il avait mérité sa mort.

-Je sais ce que cela veut dire, Mme Harries. Je pars.

Elle avait hoché la tête, sans émotion sur son visage. Pas de traces de colère, de pitié ou de tristesse. Rien. Ce même visage neutre et fermé qu'elle avait toujours eu.

Le soir même, Cassandra quittait l'orphelinat du nord de Chicago, un maigre sac à dos sur le dos, ni triste ni heureuse.

Elle avait été abandonnée deux fois par le monde en six ans de vie.

 

Trois ans plus tard, après avoir vécu dans les rues durant des années, elle avait été prise la main dans le sac, lors d'un vol sur l'étal d'un primeur. Emmenée dans un commissariat, elle s'était retrouvée face à M.Hendrix, chef de la section de ce quartier d'Orlando. Après maintes recherches sur le passé de la mystérieuse enfant de neuf ans, il avait réussi à trouver des traces d'elle dans un orphelinat au nord de Chicago. Sa disparition soudaine n'était pas expliquée, et Cassandra refusait de répondre aux questions du commissaire.

Au bout de deux heures de questions sans réponse, M.Hendrix avait conclu que cela ne servirait à rien, et que Cassandra irait en maison de correction, au moins jusqu'à sa majorité. Ce qu'il adviendrait d'elle après ne le concernait pas. A priori, d'après le nombre de plaintes portées dans ce quartier ces trois dernières années, elle écoperait de deux ans de prison à peine, moins si le juge était de bonne humeur.

Alors qu'il allait quitter son bureau pour passer un coup de fil, Cassandra avait ouvert la bouche. Sa voix était faible, tremblante.

-Il l'avait mérité. C'est tout. Ils l'avaient tous mérité. Il avait été le premier, mais il y aurait pu en avoir d'autres.

M.Hendrix, piqué de curiosité, et, se demandant enfin s'il aurait les réponses à ses questions, était revenu s'asseoir à son bureau. La jeune fille le fixait de ses yeux bleus ciel comme emplit d'orage. On aurait dit qu'elle était en colère, qu'elle brûlait de rage à l'intérieur.

-Qui ? Qui a mérité quoi ? Pourquoi ?

-Je ne suis pas un monstre. Je ne suis pas un monstre ! Je n'y peux rien si je suis comme ça, si je brûle chaque personne que je touche ! Je ne suis pas un monstre ! Je n'ai rien fait pour être comme ça ! Et mes parents ne m'ont pas abandonné pour ça !

M.Hendrix ne comprenait rien à ce que racontait l'enfant face à lui. Elle ne faisait que crier des phrases dont il ne saisissait pas le sens.

Cassandra pleurait. Chaque phrase qu'elle prononçait sonnait comme ces derniers mots, tant elles étaient hachées, criées avec toute la force que pouvait contenir ses petits poumons. Elle était désespérée, comme sur le chemin de la dépression. M.Hendrix aurait pu l'aider, mais Cassandra s'était éloignée de lui lorsqu'il a voulu prendre sa main.

-Ne m'approchez pas ! Vous le regretterez ! Comme eux tous ! Allez tous brûler en Enfers !

Alors que la jeune fille scandait ses derniers mots, le commissariat vola en éclat. Les murs explosèrent, les vitres éclatèrent en milliers de morceaux de verres. Les voix des dizaines d'officiers résonnèrent comme un seul cri alors que la vie les quittait.

Des décombres, on ne retrouva qu'une survivante, évanouie, couchée sous une planche de bois, immobile, sans aucune blessure physique apparente.

 

Cassandra poussa un soupir lorsque la porte s'ouvrit derrière elle.

-Mademoiselle White, veuillez me suivre. C'est l'heure de suivre la procédure de votre traitement.

Elle se redressa. Qu'elle le veuille ou non, ils l’emmèneraient quand même sur cette maudite chaise, une fois de plus.

Elle voulait sortir. Et s'échapper au plus vite de ce lieu. Elle savait que Morgane l'aiderait. Elle l'avait vu dans ses yeux la vieille, lorsqu'elles s'étaient rencontrées au tournant d'un couloir. Morgane l'aiderait à sortir.

Elle avait voulu sortir la vieille, s'échapper par cette fenêtre dans la salle informatique, pouvoir respirer l'air de dehors. Elle l'avait voulu plus que tout, mais elle l'en avait empêché. Elle lui avait dit de rester à l'intérieur. Cassandra n'arrive pas à lui désobéir. Elle est complètement sous son emprise. Depuis combien de temps était elle là ? Cassandra l'ignorait. Mais elle savait qu'un jour elle arriverait à la vaincre, à sortir.

Mais pour le moment, elle allait encore souffrir.

-Allons-y.

 

++++

 

Chercher un moyen de s'échapper s'était avéré bien moins long que je ne le pensais. La porte était fermée. Et il n'y avait pas de fenêtre. La possibilité d'une porte secrète sous le lit m'aurait étonnée, mais j'ai quand même vérifié.

Il n'y avait rien. Pas un seul moyen de sortir d'ici.

Pendant une heure, je suis restée assise sur le lit, à observer la poignée de la porte, attendant qu'elle tourne enfin, annonçant le début de ma thérapie. J'aurais pu lire mon dossier, mais le Dr. Browning l'avait emmené avec lui.

J'avais l'impression que les minutes devenaient des heures. Si je ne voulais pas savoir ce qui m'arriverait une fois de l'autre côté de cette porte, je refusais de rester ici indéfiniment. Je ne supporte pas l'idée d'être enfermée. Je préfère encore être abandonnée sur une île vierge plutôt que dans une pièce minuscule remplie de tas d'objets pour passer le temps.

-Il est temps, Mademoiselle Blacks. Suivez-moi.

Je suis sortie de la chambre, le cœur battant, à peine étonnée de voir les même couloirs que la vieille, désert de vie.

-En quoi consiste mon traitement ?

Le Dr. Browning n'a pas répondu. Il a continué de marcher, me guidant dans le dédale de couloirs. J'aurais pu le quitter, aller dans les autres couloirs, mais, à quoi bon ? Ils m'auraient retrouvés, et je me serais juste perdue. Cela n'aurait fait qu'aggraver mon cas.

Je n'ai pas l'habitude de baisser les bras, de me résoudre à mon sort, mais, aujourd'hui, mon avenir ne m'intéresse plus. C'est comme s'il s'était envolé, effacé, sans être arrivé. Je me fiche de savoir ce qu'il m'arrivera. Si je dois mourir ici, je mourrais ici. Il n'y a que quatre personnes qui savent que je vis encore. J'ai disparu de la surface de la terre.

Le docteur me mène vers un ascenseur. Lorsque les portes se referment, je le vois appuyer sur les boutons d'un digicode. Il n'y a pas d'indications d'étages dans la cabine. Seules les douze touches du clavier sur lequel appuie Charles. Je n'y fais pas réellement attention. Je sais que je ne retiendrais pas l'ordre. Ma mémoire n'est pas ce que l'on pourrait appeler « développée ».

Les portes s'ouvrent et le docteur me prends par la main. Ici – je suis incapable de dire où nous sommes, mais certainement sous terre – il n'y a pas de couloirs, seulement des passerelles grillagées en fer, disposées à différent niveaux. Lorsque je me penche au-dessus du vide pour voir jusqu'où va la fosse que nous surplombons, je n'arrive pas à en voir le fond. C'est extrêmement profond. Tellement que j'en ai presque le vertige, alors que le vide ne m'a jamais effrayé.

Nous tournons à droite, dans un corridor sombre éclairé au néon. Ceux-ci dégagent une étrange lumière verdâtre, un peu surnaturelle. Une porte s'ouvre au fond, avec un claquement. Un infirmier portant des gants en sort, tirant par le bras quelqu'un que je n'arrive pas à distinguer de là où je suis. Quelques secondes après, un deuxième infirmier en sort, poussant la jeune fille. Elle est de dos, mais ces cheveux blonds ne me trompent pas. C'est Cassandra.

-Lâchez-moi ! Je vous dis que c'est impossible ! C'est de la folie pure !

Elle s'agite en tous sens, se débattant pour que les deux hommes la libèrent. Plus je m'approche, plus elle m’apparaît folle. Ses cheveux sont en bataille, elle a des larmes sous les yeux et ces derniers sont...comme perdus, désespérés. Fous.

Lorsque son regard croise la mien, ses yeux bleus s'ouvrent plus grand encore, accentuant l'effet de folie, et elle se jette sur moi avec une force dont je ne la croyais pas capable.

-Morgane, ne crois pas ce que tu va voir ! C'est faux, c'est faux !!! Ils nous manipulent, nous mentent ! C'est de la folie, c'est impossible ! Promets moi de ne pas les croire !

Les deux infirmiers rattrapent Cassandra, et la hissent dans leurs bras pour l'emmener dans la direction opposée. Ses yeux me lancent des éclairs de détresse, et, ne sachant quoi faire pour l'aider, je lui promets. Le Dr.Browning pose une main sur mon épaule.

-Ne prêtez pas attention à ce que dis cette fille. Elle est dans cet hôpital depuis presque dix ans et nous n'arrivons toujours pas à la guérir.

Si je n'avais pas rencontrer Cassandra la vieille, j'aurais pu le croire. Malheureusement, ce n'est pas le cas. Et j'ai plus confiance en elle qu'en cet homme qui m'est inconnu. J'espère pour elle que ça ne fait pas réellement dix ans qu'elle est ici....Au bout d'une journée, je n'en peux déjà plus d'être enfermée dans ce lieu où tous les couloirs se ressemblent, où il n'y a rien à faire, où il n'y a personne avec qui parler. C'est oppressant, et on se sent horriblement seul et inutile.

Je ne sais pas contre quoi Cassandra vient de me mettre en garde, mais ça ne présage rien de bon quant à ce qui se trouve derrière cette porte où me mène Mr.Browning. Je ne sais pas à quoi m'attendre, mais j'ai promis à Cassandra de ne pas croire ce que je verrais. Mais qu'est ce qui se trouve derrière cette porte au juste ? Je ne pense pas avoir réellement envie de le découvrir...

Mr. Browning pousse la porte, qui s'ouvre sur un cabinet médical silencieux. Il est éclairé par les même néons que ceux du couloir, qui donne un aspect spectral au lieu. Un écran se trouve sur le mur, éteint. Sur la gauche, il y a un bureau, et Mr. Browning y prend place. Un siège ressemblant vaguement à un étrange mélange entre une chaise électrique et une chaise de dentiste se trouve au milieu de la pièce. D'un geste, le docteur m'invite à aller m'y asseoir. Je jette un regard de dégoût au siège. Des dizaines de fils et de tuyaux pendent sur les côtés de la chaise, ainsi que deux attaches. Je préfère ne pas poser de questions, même si des centaines me passent à l'instant à l'esprit. Je ne veux pas savoir ce qui m'attends. Cela ne ferait que m'effrayer encore plus.

Je prends place sur le siège, à moitié allongée, la tête sur le repose-tête. Mon champ de vision se limite au plafond, sur lequel cours des tuyaux de toutes tailles, sûrement pour la circulation de l'eau.

La porte s'ouvre à nouveau et je me redresse pour voir qui entre. Il s'agit d'un jeune homme aux cheveux châtains coiffé en brosse, vêtu de la même tenue blanche en vigueur ici. Il a l'air ennuyé d'être là. Ses gestes sont lents et peu dynamiques lorsqu'il pousse le chariot métallique devant lui. Différents instruments médicaux sont posés dessus, et je n'en reconnais presque aucun. Il ressort au bout de quelques secondes, me laissant à nouveau seule avec le docteur.

Celui-ci s'approche de moi, et me demande de me rallonger.

-Je vous remercie. Vous êtes une des rares personnes à ne pas poser de questions.

Peut-être parce que je sais que tu n'y répondras pas vraiment.

-Tenez vous tranquille, je vous pris. Cela ne durera qu'un instant.

Il accroche les sangles autour de mes bras, et place deux électrodes sur ma poitrine, ainsi que d'autres fils qu'il mets sur mes bras. Les questions se bousculent dans mon esprit, toujours plus nombreuses. Pourquoi m'accrocher ? Serait-ce dangereux ? A quoi servent les électrodes ? A quoi servent les instruments sur le chariot ? Pourquoi descendre aussi profond sur terre ?

-Je vous demanderai de rester immobile. La piqûre ne fera pas mal si vous restez calme.

Je colle ma tête contre l'appuie-tête et ne bouge plus, fixant le plafond. Je vois à peine la seringue entrer dans mon champ de vision et se planter dans ma tempe.

-Voilà qui est fait. Détendez-vous, et fermez les yeux.

Alors que je regardes les canalisations, ma vision devient floue et se brouille. Je clos mes paupières, et je me sens comme aspirée loin du siège.

 

++++

 

Ma première sensation est qu'il fait humide.

Je suis au milieu d'une clairière immense, en pleine nuit. La lune n'est pas pleine, mais elle éclaire assez la plaine pour que je puisse voir que je ne suis pas seule. Face à moi, à une centaine de mètres, plusieurs douzaines de personnes se trouvent, ordonnées en rang de douze. Ils portent des armes qui brillent sous les rayons lunaires.

-Vos ordres ?

Je me retourne vers mon interlocuteur. C'est une jeune fille, dont les cheveux sont teints en bleu électrique. Elle porte une tenue de combat en cuir, un arc dans la main et un carquois remplis dans le dos. Ses yeux sont déterminés et brûlent de rage. Derrière elle, une trentaine d'autres personnes, vêtus comme des guerriers tout droit sorti du Seigneur des Anneaux, patientent, en silence, en rangée de six.

-Appelez Tristan. Il est temps de commencer.

C'est comme si j'étais dans mon corps, mais que je ne contrôlais pas mes gestes. Chaque respiration, chacune de mes pensées n'est pas en accord avec mon corps. C'est comme si tout ceci n'était qu'une vision, une simulation. Et pourtant, tout semble réel. Je sens l'odeur des feuillages, je sens l'herbe sous les semelles de mes bottes, et le vent frais et humide. C'est tellement étrange...Je ne suis pas sûre de ce que je vois. Mais mes pensées n'ont pas le temps de diverger que tout se déroule d'un coup.

Au loin, on entends le son d'une corne de brume. En cherchant d'où elle vient, j'aperçois un homme en haut d'une falaise qui surplombe la plaine. A peine a-t-il fini de souffler dans la corne qu'une flèche vient se planter dans sa poitrine. Son corps tombe de la falaise et vient s'écraser à une dizaine de mètres de nous.

J'aimerais pousser un cri, mais mon moi de la simulation reste stoïque, comme si c'était normal. Elle lève le bras et ceux qui se trouve derrière elle -ou moi, je n'arrive plus vraiment à savoir- commencent à crier. Puis les deux camps courent l'un vers l'autre, comme dans ces batailles épiques de fin de films fantasy. Les armes s'entrechoquent, les cris s'entremêlent, le sang gicle, les corps tombent, la bataille fait rage.

Et, soudain, au milieu des combattants, au milieu de ces êtres qui se déchiraient pour une raison qui m'était inconnue, je l'ai vu, marchant vers moi au milieu de la foule.

-Thilas...

Ma voix est pleine de rage et de haine. Une haine que je ne me connais pas pour lui. Il n'en paraît pas surpris.

-Morgane, il faut que tu comprennes qu'ils t'ont menti, que tu as été mani...

-Tais-toi, entendre ta voix m'insupporte. Tu oses dire que c'est eux qui m'ont mentis et manipulés ? Qui a été le premier à me trahir, dis moi ? Qui a été le premier à me cacher la vérité ? Eux, ils m'ont expliqués, ils m'ont dit qui j'étais, ce que je devais faire. Et tu sais quoi ? Je n'écouterais pas tes excuses. Je vais faire ce que j'ai toujours dû faire.

-Que, que...dit-il en reculant, tremblant.

-Adieu Thilas.

Avec une détonation, la balle s'échappe du pistolet que je tiens dans les mains et vient toucher le jeune homme en plein torse. Il s'effondre au sol, et ne bouge plus. Son sang coule sur le sol, parmi ceux des autres victimes de guerre.

-La bataille est finie.

Les derniers combattants du camp adverse s'enfuient ou se rendent. Des cris de joie résonnent un peu partout sur le champs de bataille. Certains applaudissent, d'autres commencent déjà à boire à s'embrasser, comme si cette unique bataille signifiait la fin de la guerre.

Quant à mon moi, elle marche dans la clairière d'un air neutre, sous les acclamations de ses combattants. Elle se dirige ensuite vers le nord, dans les bois, et traverse une rivière. De l'autre côté de cette dernière se trouve un camp, illuminé par des dizaines de feux un peu partout entre les différentes tentes, de couleurs bleues et argents. Sans un mot, elle les longent, ignorant les cris de joie des vainqueurs. Elle monte sur une butte et s'arrête subitement et bande son arc. Je ne comprends pas ce qu'elle vise, mais elle tire dans un des arbres. Au bout de quelques secondes, une silhouette féminine apparaît des buissons, un masque tribal sur le visage.

Lorsqu'elle parle, sa voix est rauque, presque masculine. Impossible de la reconnaître.

-Tu l'as fait ?

Elle hoche la tête.

-Bien. Suis-moi. La cérémonie est prête.

La jeune fille au masque nous guide dans la forêt, jusqu'à une petite clairière, où se trouve une sorte de bûcher.

-Tu es sûre de vouloir le faire ?

-Sûre et certaine.

Mon moi s'avance vers le bûcher et vient s'y placer, tandis que la jeune fille au masque s'approche avec une torche de la base du bûcher.

-Bonne chance.

Derrière son masque, elle commence à marmonner dans une langue incompréhensible, avant d'enflammer le bois. Les flammes grimpent à une vitesse folle, mais c'est la fumée qui me prends en premier, à la gorge. Je commence à tousser, à cracher mes poumons. Je suffoque, alors que les premières flammes ne m'atteignent pas encore. La température augmente, et je commence à suer. La voix de la fille au masque devient de plus en plus forte, et plus elle monte, plus les flammes montent avec elle, m'encerclant complètement. Entre chaque aspiration et éternuement, je cries, sentant ma chair se faire dévorer par le feu.

 

++++

 

-Ce n'est pas possible....

Charles n'arrivais pas à quitter ce qui restait de l'écran des yeux. Il ne croyait pas ce qu'il venait de voir. C'était incroyable, extraordinaire, inouï !

L'alarme incendie se déclencha alors, et il revint sur terre. La machine venait d'exploser. Toutes ces années de travail venaient d'être réduites à néant, mais il avait réussi sa première mission. Il l'avait trouvé. Enfin. Avec la récompense, il pourrait continuer ses recherches, toujours plus loin.

-Dr.Browning ! Que faites-vous ? Il y a un incendie, il faut quitter l'étage immédiatement ! Un fusible s'est cassé dans la salle voisine !

C'était le nouveau stagiaire. Il ne comprenait rien à ce qui venait de se produire. C'était un miracle, une révolution. Il était trop jeune pour réaliser l'enjeu de ce qu'il se passait ici. L'avenir du monde, ou de ce pays du moins, venait d'arriver sous ses yeux.

-Mr.Kingston, emmenez la jeune fille dans la salle du bas, avec l'autre. Surtout, ne la laissez pas sortir. J'ai à faire.

Alors que le stagiaire Kingston défaisait les liens de la jeune fille et tentait de la réveiller, Charles quitta la pièce précipitamment.

-Elle ne se réveille pas !

Mais Kingston parlait dans le vide. En courant, il partit chercher une civière, et réussit à hisser la jeune fille brune dessus. Ne pouvant prendre l'ascenseur, il dut se résigner au monte-charge manuel qui se trouvait au bout du couloir. Il ne comprenait pas ce qu'il venait de se passer, mais il savait une chose.

Ce qu'il se passait ici n'avait rien de normal.

 

++++

 

Je suis réveillée par la toux d'une personne. Mes paupières s'ouvrent lentement, mais je ne vois pas de différence. Il fait toujours aussi sombre. Le noir total. Et l'humidité. Il fait froid, et je sens presque les gouttes d'eau sur le sol. Les toussotements reprennent encore, plus fort maintenant que je suis éveillée.

Je me dirige vers eux comme je peux, longeant le mur d'une main, à quatre pattes sur ce sol mouillé.

-Qui êtes-vous ? Fait la voix en toussant une fois de plus.

-C'est Morgane, dis-je, reconnaissant la voix de Cassandra malgré la toux. C'est Morgane, Cassandra, tout va bien.

Je ne sais pas vraiment à quoi cela sert de lui dire que tout va bien. Rien ne va bien. Je ne sais pas où nous sommes. Je ne sais pas pourquoi nous sommes ici. Je ne sais pas ce qui nous arrivera quand on sortira.

Je m'approche d'elle. Sa peau est glacée. Depuis combien de temps est-elle là, enfermée dans ce taudis ?

-N'essaie pas de me rassurer, réplique-t-elle en toussant encore. Tu sais aussi bien que moi que ça ne va pas bien.

Même dans l'obscurité, je sens son regard sur le mien.

-Dis-moi, Morgane, tu y as cru ? Dis-moi que non. Je t'en supplie.

-Non, je n'y ai pas cru. Mais qu'est ce que c'était ?

Cette vision paraissait tellement réelle...Comme si elle était déjà arrivé. Je ne sais pas ce que je dois ressentir. C'était tellement...je ne trouve pas les mots pour dire ce que j'ai ressenti face au carnage que j'ai vu, et à la dureté et la froideur de mon regard lorsque j'ai abattu mon ex-petit ami. Ce ne pouvait pas être moi. Je ne suis pas comme ça. Et ce qui me trouble encore plus, c'est cette histoire de mensonge et de trahison, et d'identité. Qui suis-je ? Je pensais le savoir, mais maintenant...J'ai des doutes sur mes propres origines.

Et la fin de cette « simulation » ? C'est encore plus incompréhensible. Qui était cette fille ? Et pourquoi me suis-je retrouvée sur ce bûcher ? On aurait dit un sacrifice dans une secte satanique.

Mais ce qui me gêne le plus dans toute cette histoire, c'est que cette plaine entourée d'arbres, je la connais. Elle se trouve dans la forêt d'Henrisson, au nord de la ville.

-Je...Je ne l'ai découvert qu'il y a très peu de temps. Ils ont construit un truc révolutionnaire, et il le planque ici, en secret, c'est...

Elle tousse encore.

-C'est une machine qui dévoile l'avenir. Ce que tu as vu, c'était le futur qui avait le plus de chance de t'arriver.


24/02/2016
0 Poster un commentaire