Dark Night

Dark Night

~ Chapitre 3 ~


~ Chapitre 3 ~

Chapitre 3

Virée Nocturne

 

 

 

Comme durant le reste de la journée, les couloirs sont vident. La lumière est faiblarde et clignote. Ils devraient penser à changer les néons des lampes où je serais bientôt plongée dans le noir total.


Silencieusement, mes pas glissent sur le sol, passé du blanc au gris à cause du peu de lumière. A chaque croisement, j'observe le plan pour savoir dans quelle direction aller. Il m'arrive parfois d'entendre de légers frottements aux alentours, mais rien qui puisse correspondre à un homme qui pourrait détecter ma présence. Je frôle les murs et observe chaque recoin sombre, guettant une source de lumière potentiellement dangereuse.


J'ai beau marcher, je ne croise aucune autre personne. Simplement des flashs de lumière au détour d'un chemin, inoffensifs. Mes pas sur le sol semblent faire trembler tout le couloir, tellement le silence est pesant. J'ai beau me faire légère, je fais toujours autant de bruit. Je n'ai jamais été connu pour être une fille discrète, et je le regrette aujourd'hui.


Cassandra aura-t-elle trouvé Thilas ? Ce serait tellement bien ! Quoique...en y réfléchissant, suis-je sûre de vouloir le revoir ? Je ne sais pas comment, mais je suis certaine qu'il est mêlé de près ou de loin au meurtre de mes parents. Même l'accident de Capucine et Liam ne me paraît pas naturel. Et si c'était réellement de sa faute ? S'il était mêlé à ça ? Je lui en voudrais à tout jamais...Il m'a arraché les êtres que j'aimais le plus au monde, comme un monstre. Je le hais...Liam et Capucine. Je vous vengerais. Je vengerais ma famille. Je te tuerais Thilas. Si tu as fait quelque chose, si tu as dit quelque chose, peu importe, je te tuerais de mes propres mains. Et ne crois pas que je pourrais encore t'aimer après une telle trahison.


Sans trop savoir quoi penser, j'entre dans la salle informatique, plongée dans l'obscurité. Je ne sais pas si je dois être heureuse ou en colère. Je ne sais pas encore quel est le rôle de Thilas dans cette histoire. Je ne dois pas le juger avant de l'avoir entendu parler. Je saurais s'il me ment ou pas.

 

La seule lumière de la salle est celle de l'horloge digitale, qui affiche en clignotant les nombres 21 : 02 en rouge. Je suis en retard, mais Cassandra n'est pas encore arrivée. Je vais en profiter pour essayer de me détendre l'esprit en fouillant la pièce.


Étonnamment, elle est plus remplie que je ne pensais. Elle ne doit pas être utilisée par les occupants de l'asile, j'en suis certain, seulement par les salariés de l'asile. Alors pourquoi Cassandra connaît-elle cette salle ? Cette fille est décidément entourée de mystères.


Je m'assois sur la première chaise que je trouve et commence à faire des tours sur moi-même, observant la pièce. Il y a cinq bureaux, sur lesquels sont posés deux ordinateurs. Dans un coin, trois canapés sont placés face à une télé. Il fait un peu sombre dans la pièce, mais je n'ose pas allumer la lumière, au cas où quelqu'un passerait dans le couloir. La lumière extérieure suffit à éclairer la pièce d'un éclat lunaire.


Deux minutes se sont écoulées, et Cassandra n'est toujours pas présente. Je me lève de ma chaise de bureau et me dirige vers la fenêtre pour observer le ciel nocturne. Il y a très peu de nuages, et, pour une fois, j'arrive à voir les constellations dans le ciel. Habituellement la pollution empêche de pouvoir les observer. Henrisson n'est pas connu pour être une ville propre, mais le vent venant du sud pousse parfois la pollution vers la forêt. Dans ces moments, j'aime regarder le ciel étoilé par la fenêtre de ma chambre. La nuit a toujours été mon moment préféré de la journée. Mais depuis qu'ils sont...Je ne sais plus trop si je peux encore dire que je l'aime. Elle n'a pas de rapport direct avec leur...Je n'ose pas dire ce mot...leur...


J'entends un bruit dans le couloir, et je quitte la fenêtre. Sans bruit, je me recroqueville sous un des bureaux, comme lorsque je jouais à cache-cache avec mes parents. Mon père faisait toujours semblant de ne pas nous voir, mon frère et moi, et nous ne pouvions nous empêcher de rire, cachés derrière la porte de l'armoire. C'était une époque magnifique. Mais malheureusement révolue. Je ne reverrais jamais mes parents, ni mon frère. Jamais.


Alors que la porte de la salle s'ouvre, je sens des larmes rouler sur mes joues, comme des gouttes de pluies sur une vitre. Je les chasse d'un revers de la main. Si je pleure maintenant, je serais repérée. Il faut que je pense au futur. Tous ces souvenirs ne feront que me faire souffrir plus.


Les pas se dirigent vers moi, et je retiens ma respiration. Ils contournent le bureau et s'en vont vers la fenêtre. J'observe, dans la pénombre, les jambes de celui qui vient d'entrer. Qui, à bien y regarder, serais plutôt elle d'ailleurs.


Je l'entends déverrouiller la fenêtre. Elle commence alors à siffler, si bien que j'ai réellement l'impression d'écouter le chant d'une chouette. Je ne sais qui lui répond, mais un autre sifflement perce la nuit. Plus grave et plus lointain.

 

-Sors de ta cachette Morgane, il arrive.

 

C'est la voix de Cassandra. Je pourrais la reconnaître entre mille. Comment c'est-t-elle que je suis ici ? Et ce il....serait-ce Thilas ?

 

Je sors de ma cachette, sans trop savoir si je dois être heureuse ou pas de le revoir. Mes sentiments sont partagés. Peut-être un peu trop d'ailleurs. Mes émotions se mêlent et s'emmêlent sans que je n'arrive à me décider.


-T'es en retard.

 

C'est la première phrase qui m'est venue à l'esprit en la voyant. A quelques mètres sur la droite de sa tête, l'horloge à avancer de cinq minutes supplémentaires.


-J'ai eu quelques problèmes pour sortir. Je ne suis pas nouvelle moi, j'ai besoin de tricher pour déverrouiller ma porte.

 

Je crois qu'il n'y a pas seulement ça. Elle a l'air assez maligne, et forcer une porte ne doit pas vraiment lui poser problème. Je pense qu'elle a aussi dû faire un détour à cause de quelque chose. Ou quelqu'un. Et j'espère que le sujet en question aura eu la politesse d'arrêter de la suivre.

 

Par la fenêtre ouverte, on entend un grognement, puis le bruissement des feuilles.


-Il arrive.

 

Par la fenêtre passe une main, puis une jambe, et enfin le corps d'un jeune homme. Il est brun et ses cheveux ont été coiffés à la va-vite, comme s'il est pressé. Élancé, on devine sa carrure d'athlète sous sa veste noire et son T-shirt gris. Quand ses yeux se retrouvent éclairés par la lumière lunaire, une lumière dorée y brille.


Thilas. Sans aucun doute possible.


-Alors c'est bien vrai ? Tu es vivante ?

 

Il a changé. Je ne dirais pas en mieux, ni en pire. Il est différent, plus fort, plus mature. Ça ce lit dans sa façon de se mouver, ses mots lorsqu'il parle. Thilas a grandi et est devenu un jeune homme. Il semblerait que j'ai raté beaucoup de chose durant mon coma. 


J'ai besoin de réponses. Et j'en ai besoin maintenant.


-Oui. Je suis devant face à toi, pleine de vie.

 

Je marque une pose, comme si je redoutais sa réponse.


-Pourquoi ? Pourquoi m'as tu laissé ce soir là ?

 

Imperceptiblement, il se mord la lèvre. Cela voudrait-t-il dire que...


-J'avais quelque chose de très important à faire et...il fallait que je le fasse immédiatement...Tout ce qui t'es arrivé n'a rien à voir avec moi et je regrette de n'avoir pu être là pour toi. C'était de la plus haute importance, et je...

 

Je brûle de rage. Ces excuses sont inacceptables à mes yeux. J'ai perdu tout ceux à quoi je tenais en l'espace d'un nuit, et je suis censée le pardonner aussi facilement ? Chacun de ses mots ne me fait que plus souffrir, me rappelant tout ce que nous avons vécu, tout ces merveilleux moments que nous avons partager. Et il a tout gâché.


-Plus haute importance ?! J'ai perdu tout ce qui comptais, et toi, tu avais quelque chose d'important à faire ? C'est tout ce que tu trouves à dire ? Tu m'as brisé le cœur Thilas, tu comprends ?! Je te hais !

 

Je me retourne, rouge de colère. Cassandra a, une fois de plus disparu. Comment fait-elle pour être aussi discrète, et, surtout, pour disparaître toujours au moment où on a besoin d'elle ?


Je sors de la pièce et manque de claquer la porte. Je me ravise. Ma colère ne doit pas ameuter tout l'asile.


Effondrée, je me laisse tomber au sol, appuyée contre le mur. Pourquoi ai-je réagi ainsi ? Je ne sais plus quoi penser. Tout se mêle dans mon esprit, et tout est confus...Je suis perdue, perdue...Je me sens seule et abandonnée, sans personne sur qui compter. J'ai besoin d'aide et je n'en veux pas. Je ne sais pas ce que je veux. Je suis désemparée, à croire que je ne veux plus vivre...C'est ça. Je ne veux plus vivre. Je n'ai aucun raison de rester ici, de penser que tout peux s'arranger. Rien ne pourra jamais s'arranger. J'ai perdu ma famille. Toute ma famille ! Il ne me reste plus rien, plus rien...Je suis seule, définitivement. Je ne sais pas ce que sont devenus mes autres amis, mais sans Capucine et Liam, rien ne sera plus jamais pareil. Plus jamais...Pourquoi suis ainsi maudite ?


Assise sur le sol, je pose ma tête entre mes bras et commence à pleurer. Ses larmes qui me brûlaient les yeux depuis des années méritent désormais d'être versées. Peu importe que cela ne serve à rien, que personne ne soit là pour me prendre en pitié. J'ai envie de pleurer, d'exprimer ma tristesse. Ma vie est pourrie, et elle le restera.


« Tu as finis de gémir pour un rien ? Tu n'es pas seule, et tu ne l'as jamais été. »


Je sursaute et relève la tête. Le couloir et vide. Pourtant, je suis sûre d'avoir entendu quelque chose, je n'ai pas rêvé.


-Qui est là ?

 

Je me remets debout, cherchant dans la pénombre une silhouette humaine. Mais il n'y a rien. Que l'écho de ma voix. Personne. Le silence. Comment est-ce possible ? Je suis pourtant certaine de ne pas avoir rêvée. 


Intriguée, j'essuie mes larmes et commence à avancer dans le noir. Comme une imbécile, j'ai laissé la lampe de poche et le plan de Cassandra dans la salle, et je me retrouve dans l'obscurité. 


-Il y a quelqu'un ?

 

Je ne peux m'empêcher de répéter sans cesse cette phrase. Comme dans ces films d'horreurs où un monstre horrible surgit sur la jeune fille sans défense et la mutile. Sauf qu'il ne devrait pas y avoir de monstre ici. On est dans le monde réel, pas dans une de ces daubes cinématographiques. Et je ne dois pas avoir peur d'avancer toute seule dans les ténèbres pour trouver quelqu'un.


Je sens une main sur mon épaule et je sursaute, surprise. 


-Tu comptes continuer de marcher longtemps encore ?

 

++++

 


-Qui es-tu ?

 

Je n'arrive pas à le reconnaître dans l'obscurité. Je suis déjà certaine qu'il ne s'agit pas de Thilas, car il ne porte pas les même vêtements. Mais de qui peut-il bien s'agir ? 


-Tu veux dire que tu ne me reconnaît vraiment pas ?

 

Je cherche...C'est dans ces moments qu'on se rend compte qu'on connaît beaucoup plus de gens qu'on ne le pense. Mais, à bien y réfléchir, qui viendrait jusqu'ici si ce n'est pas Thilas, ni Liam ?


-Peter ?

 

Même dans la pénombre, je le vois sourire. Je vois sa forme se mouver et ses mains attraper un objet dans son dos. Il allume la lumière et je mes paupières se ferment automatiquement.


-J'arrive pas à y croire ! Quand Thilas me l'a dit, je pensais vraiment qu'il mentait !

 

Habituée à la lumière, je l'observe. Je comprends mieux pourquoi je ne l'avais pas reconnu auparavant. Sa carrure à complètement changée, comme s'il n'avait jamais été celui que j'avais connu. Lena a dû l'obliger a faire du sport, car il semble plus puissant et plus robuste maintenant. Je me souviens d'un garçon qui ne brillait que par son sarcasme et son intelligence, et qui avait plutôt tendance à rester discret, sauf si c'était pour lancer une de ses piques fétiches. Il semblerait qu'il se soit métamorphosé en deux ans. Et je crois savoir qui en est la cause principale.


-Aller, viens. Je vais te montrer quelqu'un que tu seras contente de revoir, j'en suis certain.

 

-Je refuse de voir Thilas !

 

Je ne sais pas vraiment pourquoi j'ai prononcé cette phrase tout haut, mais vu comment Peter réagit, il ne doit pas s'agir de lui. J'en suis rassurée, et je suis presque certaine de l'identité de cette future personne qui souhaite me voir.

 

-Peter c'est un vrai labyrinthe ici, on risque de se perdre et...

 

Il me tire vers l'avant, et je n'ai pas d'autres choix que de tenter de le suivre. Il commence à courir, et je vois la lumière de la lampe de poche s'éloigner de plus en plus de moi. Mes jambes ne supportent pas de bouger aussi vite. Je m'épuise et Peter ne s'en rend même pas compte. Il continue de courir devant moi, et je ralentis, fatiguée. Je ne vais pas tarder à tomber si cela continue.


Au loin, Peter et sa précieuse lumière ont entièrement disparu. Affalée contre le mur, je respire par à coup pour reprendre mon souffle. Mes jambes tremblent.


C'est à ce moment que j'entends un bruit, à l'autre bout du couloir. Un bruit de pas, et je suis certaine qu'il ne s'agit pas de Peter. Ils sont deux.


Je me redresse. Il faut que je reparte, et vite. Encore tremblante, je commence à marcher, essayant de faire obéir mes jambes. Derrière moi, les pas se rapprochent, de plus en plus près de moi. Je continue d'avancer, espérant retrouver la lumière de la lampe de poche de Peter. 


Que se passera-t-il exactement s'ils me rattrapent ? Que vont-ils me faire ? Vont-ils m'enfermer avec d'autres fous durant des jours ? Ou tenteront-ils des expériences avec moi ? 


Voilà que ma paranoïa revient. Il faut que j'arrête d'émettre des hypothèses toutes plus étranges les unes que les autres, bien loin de la vérité. Je dois juste continuer d'avancer sans penser à ce qu'il se trouve derrière moi.


Une rayon m'éclaire, et, au même instant, quelqu'un tire mon bras sur le côté. Je fais un bond sur la droite, au moment où les surveillants arrivent dans le couloir. La porte se verrouille derrière moi. C'est une silhouette féminine qui se dresse face à moi.


Mes pensées vont à cent à l'heure. Qui est-t-elle ? Va-t-elle me livrer aux surveillants de l'asile ? Non, ça n'aurait aucun logique, elle ne m'aurait pas emmenée ici sinon. Mais que cherche-t-elle alors ? Pour le moment, je dois rester silencieuse, le temps qu'ils passent devant la porte. Le moindre murmure peut nous faire remarquer.


J'ai l'impression que les secondes s'écoulent comme des minutes durant cette attente. Je cherche la lampe de poche mais c'est Peter qui l'a. Je suis avec une inconnue, sans lumière pour pouvoir tenter de la reconnaître dans les ténèbres. 


Un flash de lumière surgit de l'obscurité, m'éblouissant totalement.


-Oh mon dieu ! Il déconnait pas, c'est bien toi ! 

 

La fille me saute dessus et me serre dans ses bras, si fort que j'ai l'impression d'étouffer.


-Mon escargot en chocolat est de retour !

 

Elle resserre l'étreinte. 


Ce surnom ridicule ne m'a été donné que par une seule personne au monde. Et maintenant, je sais parfaitement à qui j'ai affaire.


Lena.


-Ma panthère noire en feu !

 

Je l'embrasse sur les deux joues. La revoir est le plus beau moment de ma journée. Lena a toujours été géniale avec moi, comme avec les autres. Je pleurerais presque de joie tellement je suis heureuse de revoir son visage rond et ses cheveux, dont elle a teint les bouts en jaune. Si son père la voyait, il piquerait encore une de ses crises de nerfs, comme chaque fois qu'elle change la couleur de ses cheveux. Ce qui, à vrai dire, n'a pas l'air de la gêner plus que ça. Lena a toujours eu son caractère, fort et têtu à la fois. Une des nombreuses raisons pour laquelle je l'aime.


-Si tu savais à quel point je suis heureuse de te revoir !

 

A la lumière de son portable, je vois un sourire éclairer son visage.


-Oui, moi aussi. Mais pour l'instant, faut qu'on regagne la salle. Peter va finir par partir si on tarde trop.

 

Elle pousse la porte et lance un regard de chaque côté du couloir. J'aimerais lui dire qu'on risque quand même de se perdre, mais elle me fait signe de sortir, et commence à marcher.


Durant un instant, une hypothèse me traverse l'esprit. Comment ont-ils su que j'étais là ? Depuis que je me suis réveillée, je n'ai eu aucun contact avec l'extérieur, rien que ne puisse les prévenir. Alors comment...? Ca y est, je me souviens. Au final, tout revient à la même et unique personne.


Thilas.


-On risque de se perdre, Lena. C'est un véritable labyrinthe ici.

 

-Mais non !

 

La lumière de son téléphone continue d'éclairer le sol, et nous atteignons rapidement la salle. Peter est là, immobile, regardant d'un air fixe l'horloge au-dessus de sa tête. 21 : 36. Je n'avais pas vu le temps passer aussi vite.


-J'ai bien cru ne jamais vous revoir ! Lena, je t'avais dit rendez-vous sous l'arbre, t'étais où ?

 

-J'étais dans les couloirs, à la recherche de Morgane, que tu avais gentiment abandonné.

 

-Et oh, on se calme. C'est pas ma faute si on était poursuivi.

 

-Mais c'est ta faute si elle s'est retrouvée toute seule dans les couloirs.

 

La tension monte dans la pièce. Je ne sais pas si je dois m'imposer entre eux deux ou faire la sourde. Lors de nos disputes, c'était toujours Liam qui ramenait le calme parmi nous, dans le groupe. Et le plus souvent, on l'écoutait. On l'écoutait toujours. Maintenant, il n'est plus là. 


-Bon sang, arrêtez ! Vous êtes pas venus me voir pour vous crier dessus !

 

Leurs têtes se tournent vers moi. Lena a l'air désemparée, et Peter fixe le sol, comme s'il ne savait pas quoi répondre. Lena s'approche et me prend dans ses bras. 


-Désolée, mon petit escargot. T'as raison, comme d'habitude. 

 

Peter pousse un soupir.


-Ouais, dit-il enfin au bout d'un moment. Mais Lena, pas où est-ce que tu es passée pour entrer ? Thilas avait dit que l'on se retrouverait en bas, et aucun de vous deux n'étaient là quand je suis arrivé. Heureusement que je suis tombé sur cette fille blonde pour m'ouvrir la fenêtre parce que...

 

-T'as vu Cassandra ?

 

Je n'ai pas pu m'empêcher de poser la question. Je ne connais qu'une seule fille blonde, et j'aimerais savoir où elle est. Je ne vois qu'elle qui aurait pu les prévenir, mais je me demande pourquoi elle l'a fait. Pas que je regrette de voir mes amis, bien au contraire, mais comment les connaît-elle ? Qu'elle est le lien entre elle est Thilas ? Encre un de ces nombreux secrets qui l'entourent et qu'ils ne me restent plus qu'à découvrir...


-Non, elle a disparu après m'avoir aidé à entrer.

 

Cette fille est incroyable. Elle est plus discrète qu'une ombre sur les murs, et aussi silencieuse qu'un papillon. A côté d'elle, j'ai l'impression de passer pour un avion au décollage.


Je suis un peu triste de savoir que Cassandra n'est plus là. Je me disais que ce serait bien qu'elle sorte de ce lieu. Qu'elle prenne l'air. 


Mais avant que je prenne moi-même l'air, il faudrait déjà qu'on sache par où sortir. Parce que, si je dois passer par le même endroit que Thilas, c'est à dire en grimpant dans un arbre, il y a peu de chance que j'arrive à sortir.


Avant que je n'expose mon problème à mes amis, Peter récupère un flacon que je n'avais pas vu, posé sur une pile de feuilles et me le tends.


-Elle m'a dit de te donner ça, et qu'il fallait que tu le boives.

 

J'observe le visage de Peter. Il n' y a aucun doute quant à sa sincérité. 

 

Le liquide verdâtre dans la fiole est presque opaque. Rien de vraiment très attirant pour mon palais. Pourtant, j'ai envie de faire confiance à Cassandra sur ce coup là. Je ne sais pas vraiment sur quoi je risque de tomber en buvant cet étrange liquide.


Je tends la main et retire le bouchon. En plus d'avoir une tête étrange, la solution dégage une odeur...désagréable. Il faut que je la boive au plus vite, sinon je serais encore plus dégoûtée.


Quand le liquide glisse dans ma gorge, il la brûle, et j'ai soudain envie de tout recracher. Ou envie de vomir. Ce truc à un goût de gerbe. Qu'est ce qu'il peut bien y avoir dedans ? Je toussote un moment, mais la douleur et le goût bizarre disparaissent et laisse place à un goût de pomme doux et sucré. Sans trop savoir pourquoi, je me sens mieux. Cette fraîcheur acidulé m'a redonné de l'énergie. Je ne me sens plus ni épuisée, ni faible. Comme si cet étrange liquide avait guéri ma fatigue. Mes jambes ont l'air plus fortes aussi. J'ai l'impression de pouvoir courir comme auparavant. De pouvoir sauter et bouger dans tous les sens. Bon dieu, il y avait quoi là-dedans ?


-Ça va, Morgane ? T'en fais une de ces têtes ? Elle m'a dit que tu irais mieux après ça, j'espère que...

 

-Non, t'en fais pas je vais bien. Je vais très bien même. 

 

Je me redresse et pose le flacon sur le rebord de la table.


-Bon comment on sort d'ici ?

 

-Par le même chemin qu'à l'aller, dit Peter en désignant la fenêtre.

 

Lena ouvre de grands yeux et regarde Peter d'un air incrédule. Je la comprends. Pour moi aussi, il est hors de question que je m'amuse à jouer au singe.


-Tu veux dire que c'est par là que tu es passé ? Tu sais que la porte de de derrière était ouverte ? 

 

-Elle l'était quand tu es passée. Moi, j'ai failli me faire prendre. T'as eu de la chance de passer au moment de la relève toi. Sauf que maintenant, faut qu'on descende, et il y a plus qu'un seul chemin.

 

-On est vraiment obligé ?

 

-Lena, fait pas ta chochotte. C'est pas si haut, on est que au deuxième étage. T'avais pas aussi peur quand on a fait notre stage dans la tour Grüns.

 

-Oui...mais...C'était différent. Il y avait pas le vide en dessous. Il y avait le triple vitrage entre l'intérieur et l'extérieur, tu vois. Là il y a rien...

 

Peter s'approche d'elle et lui prend les bras. Son regard se pose sur les yeux de Lena, qui fixe la première branche de l'arbre d'un air horrifiée.


-Hé, t'en fais pas, d'accord ? Je suis avec toi, t'as pas à avoir peur. OK ?

 

-Je...je suis pas sûre que...

 

-OK?

 

-OK.

 

Il relâche les bras de Lena, et celle-ci se dirige vers la fenêtre pour l'ouvrir et regarder le tronc de l'arbre. J'espère que ça va aller pour elle. Je ne me souvenais pas qu'elle avait le vertige, mais ça risque d'être difficile aussi pour elle, si elle regarde trop le sol. Faut pas que ma panthère noire en feu se face du souci, je serai là pour la rattraper, tout comme Peter. D'ailleurs, en parlant de leur relation, ils m'ont l'air plus proches qu'auparavant. Seraient-ils sortis ensemble ? Cela m'étonnerait à peine. Ils ont toujours été extrêmement proches tous les deux et en secret, nous nous amusions à deviner quand arriverait le grand jour. Nous pensions que Peter demanderait à Lena hier, le jour de son anniversaire.


Ah non. Ce n'était pas hier, il faudra que je m'y fasse. C'était il y a deux ans. Deux ans. Deux ans ! Comment est-ce possible ! Même lorsque j'avais regardé Kill Bill, j'avais eu du mal à croire qu'elle puisse se réveiller au bout de quatre ans. Et pourtant, moi, je me suis bien réveillée au bout de deux ans. Je n'arrive pas à le croire, c'est tellement...irréel !


-Ça va toi ? Tu te sens de descendre ?

 

La voix de Peter me sort un peu de mes pensées.


-Oui, oui, ça va aller, enfin...je crois.

 

Je décide de passer la première, pour rassurer Lena. Si j'arrive à descendre sans encombre, elle n'aura aucun mal à faire de même. 


Précautionneusement, j'enjambe le rebord de la fenêtre et pose mon pied sur la première branche. Je teste sa solidité car, même si elle est plutôt épaisse, j'ai moi aussi peur d'y aller. Je passe la deuxième jambe dehors et me retrouve à califourchon à plus de huit mètres de hauteur. En essayant de ne pas regarder le sol, je m'avance vers le tronc et le branche la plus proche. Étonnement, je ne ressens plus aucune fatigue dans les jambes, comme si elles n'avaient jamais été immobilisées.


Je saute sur la deuxième branche, puis la troisième, et ainsi de suite, rejoignant de plus en plus rapidement le sol. Arrivée sur l'avant dernière branche, je me retourne pour voir où en sont mes amis.


Peter, en parfait petit ami, s'est mis juste en dessous de Lena pour l'aider à descendre. Ils progressent lentement, mais plus ils descendent, moins Lena a l'air stressée et en proie à la peur. 


Plus je me rapproche du sol, plus je me demande comment je vais pouvoir réussir à sauter de la dernière branche. Elle me paraît très éloignée du sol, et, même si la nuit et ses ombres peuvent me jouer du tour, cela ne me rassure en rien. 


Je progresse dans ma descente, et me retrouve finalement à califourchon sur la dernière branche de l'arbre, fixant le sol terreux situé deux mètres en dessous de moi. Aurais-je le courage de sauter ? Je vois mes pieds se balancer au-dessus du vide, si loin de l'herbe du petit parc. Il faut bien que j'y aille et que je me lance dans le vide. Je ferme les yeux et prend une grande inspiration avant de me laisse tomber.


A l'instant où je sens le sol sous mes pieds, je plie les genoux et roule sur le sol. Lorsque je me relève, mes jambes tremblent à cause de la violence du choc. M'appuyant sur le tronc, je tente de retrouver mon équilibre en observant les alentours.


A quelques mètres du carré d'herbe passe la route. Ici, nous sommes caché de la lumière des lampadaires qui la borde. Quelques voitures sont garées sur son long, presque toute grises sous l'éclairage nocturne. De l'autre côté de la chaussée se dresse l'hôpital psychiatrique de la ville, aux murs aussi blancs à l'extérieur qu'à l'intérieur. Le peu de fenêtres se trouvant sur les murs sont condamnées par des barreaux, empêchant toute sortie. La salle informatique est la seule à ne posséder aucun barreau.


-Morgane !

 

Ayant retrouvé tous mes esprits, je lève les yeux vers Lena qui vient de m'appeler. Elle sert la branche sur laquelle elle est allongée si fort que j'ai l'impression qu'elle ne s'en décrochera jamais. Tendant une main tremblante, je la vois lâcher un objet qui tombe sur le sol à côté de moi. En le ramassant, je découvre qu'il s'agit d'une paire de clé.


-C'est la Chevrolet.

 

Peter me pointe une voiture noire rangée parmi les autres.


-Essaie de la garer en dessous, Lena pourra jamais sauter.

 

J'acquiesce de la tête, même si j'ai peur de ne pas réussir à faire démarrer la voiture. J'avais pris quelques leçons avec ma mère, mais je n'avais jamais passé mon permis. En réalité, je n'en avais pas eu le temps. Je ne sais pas vraiment si les habitudes me reviendront en tenant le volant, mais il le faudra. 


Une fois montée dans la voiture, je mets le contact et observe les pédales, le temps de me rappeler quelle est leur fonction. La pédale de droite, si mes souvenirs sont bons, sert à accélérer, et de ce fait, celle de gauche à freiner. Sur ma droite se trouve la poignée de vitesses. Un D, un R, un N et un P. Que je me souvienne...


« -Alors Morgane, comme tu le vois, les pédales ne suffisent pas, c'est pour ça qu'on à cette poignée. Comme tu peux le voir, il y a quatre lettres, qui ont chacune leur signification. Le D signifie '' Driver '', c'est à dire la position pour conduire, tout simplement. »
Je hochais la tête pour faire signe à ma mère que j'avais compris. C'était la première fois que je me retrouvais assise devant le volant, et j'avais vraiment hâte de partir faire un tour en ville.
« -Le P, c'est pour ''Parking''. Quand tu es garée, il faut toujours l'enclencher. Ensuite le N, c'est la position neutre, quand tu n'as pas de vitesse, comme au feu rouge par exemple. Et la dernière position, le R, sert à la marche arrière, pour reculer et faire des créneaux. Tu as bien compris ? »
J'acquiesçais et répétais le tout à ma mère, pour qu'elle sache que j'avais bien tout saisi. Malgré tout, conduire une voiture n'avait pas l'air aussi difficile que je ne le pensais.

 

Je suis prête, du moins, c'est ce que je pense. Le moteur commence à toussoter, et je me demande alors si c'est réellement une bonne idée de vouloir essayer de conduire. Poussant le levier vers le R, je commençais à sortir de ma place, comme la dernière fois que j'avais conduit, il y a si longtemps de cela. Mes mains tremblent sur le volant tandis que je fais des allers-retours pour regagner la route. Plus d'une fois j'ai cru rentrer dans la voiture de devant, et encore plus dans celle de derrière. Le rétroviseur ne me sert pas à grand chose dans le noir, et je ne sais plus où se trouve les phares.


Finalement, après des manœuvres qui me semblent durer une éternité, j'arrive à m'extirper de ma place, sans incident. Désormais, face à moi, se dresse le tronc d'arbre. Avec sa lampe de poche, Peter me fait signe de m'approcher, tenant Lena dans son autre bras – ou plutôt soutenant, je dirais. Je prends une grande inspiration et commence à avancer, par à coup, ayant peur de rentrer dans l'arbre si je vais trop vite. Je stoppe enfin le véhicule, encore tremblante, sous la branche où attendent mes amis.


Je sors de la voiture et m'appuie sur la carrosserie, lorsque le poids de Peter, puis de Lena, tombe sur le toit de la voiture américaine. Lena, tout sourire de retrouver la terre ferme, me reprends les clés.


-Je te donnerais des leçons, mon petit escargot, c'est promis. Ce sera juste 25$ l'heure.

 

Elle prend place dans la voiture côté conducteur, tandis que Peter glisse le long de la carrosserie à côté de moi. La voiture ne garde aucun signe de la chute des deux corps. Solide. 


-T'en fais pas pour elle, elle va bien. C'est pas la première fois qu'elle me fait le coup de flipper autant pour descendre d'un arbre. Je crois que c'est à cause de la chute de son frère qu'elle a le vertige maintenant...Quoiqu'il en soit, tu ne sais pas à quel point je suis heureux de te retrouver !

 

Il me sert dans ses bras et je lui rends son étreinte. Pour moi, la dernière fois que je l'ai vu remonte à il y a deux jours, mais pour lui, deux ans se sont écoulés depuis ma disparition. Au fond, je ressens moi aussi leur absence.


-Aujourd'hui est un jour spécial. D'abord, c'est mon anniversaire, et puis, ensuite, c'est nos deux ans avec Lena, et on compte fêter ça. Tu es partante ?

 

Tenir la chandelle n'est pas mon envie, mais répondre non à cette invitation serait la pire erreur à faire. Je donnerais n'importe quoi pour passer à un moment normal en compagnie de mes amis.


-Bien sûr, ce serait avec plaisir !

 

++++


Nous venions de traverser tout le centre-ville pour arriver jusqu'à la zone résidentielle de la ville. La circulation était peu dense, mais Lena avait pris soin d'éviter le quartier touristique et le grande place de la ville, aussi cela me paraissait normal.


Autour de nous jaillissent des pavillons identiques avec des jardins bien entretenus et colorés, même dans la nuit. La plupart des fenêtres sont encore allumées, mais les rues sont calmes.


Lena s'arrête alors devant sa maison, où seule la lumière du salon éclaire son jardin. Nous descendons tous de voitures, silencieux et discrets, pourtant la porte s'ouvre en grand dès que nous ouvrons le portail.


-Tu rentres encore après dix heures du soir ! Comment ose-tu être aussi malpolie ? Tu as de la chance que ton père te laisse faire tout ce que tu veux, si ça ne tenais qu'à moi, je te placerais en foyer ! Tu ne mérites pas de vivre ici ! Tu es un mauvais exemple pour mon fils !

 

Même après quinze années, je n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi le père de Lena s'est remarié avec Larissa Dailey. Cette femme, certes très belle et séduisante, n'éprouve que de la haine pour sa belle-fille. Haine qu'elle lui rend bien d'ailleurs. Les deux femmes se détestent autant qu'elles aiment le petit Nathan Brown Dailey, qui doit avoir à peine treize ans. Mini poil de carottes, comme on le surnomme pour le taquiner, est déjà dans son lit à cette heure tardive. Ce qui n'empêche pas la belle-mère de Lena de crier sur tout les toits.


Au bout de deux minutes de disputes entre mon amie et Mrs. Dailey, un petit garçon à la touffe rousse en bataille descend les marches, en se frottant les yeux et baillant. Il porte un T-shirt trop grand pour lui qui arbore la tête de Darth Vador, avec la célèbre citation « I'm your father ».


-Qu'est ce qu'il se passe ? 

 

Lena s'approche de lui et le serre dans ses bras. Tout petit par rapport à elle, ses pieds s'envolent du sol quand elle le soulève.


-Lâche ton frère, il doit aller dormir.

 

Larissa prends son fils dans les bras et comment à monter les escaliers qui mènent à l'étage.


-Si tu comptes sortir avec tes amis ce soir, cela te regarde, mais, quoi qu'il arrive, j'en toucherais un mot à ton père et tu verras bien.

 

-Elle verra bien quoi ? Demande Nathan.

 

-Rien mon chéri, rien, il est temps de dormir.

 

-Je pourrais lire ?

 

-Si tu veux, mais pas trop tard.

 

Ils disparaissent à l'étage et l'écho de leur voix s'évade.


Lena pousse un soupir et nous emmène dans le salon. C'est à peine si Larissa m'a reconnu, trop occupée à crier sur sa belle-fille. Ça ne doit pas être facile tous les jours pour mon amie rousse de devoir supporter sa belle-mère. Et puis son père est si souvent absent que l'ambiance à la maison doit être tendue chaque seconde.


Le salon de la maison des Brown est plutôt spacieux, avec un canapé blanc en L et une télé écran plat de plusieurs dizaines de pouces. Entre les deux se trouve une petite table basse en bois, posée sur le carrelage marron. Dans un coin de la pièce se trouve une étagère sur laquelle sont entreposés une bonne dizaine de disques, qui montre la passion de Lena pour la musique. Elle a en toujours été obsédé, en plus de sa passion pour la course. Même si son père est contre, elle a toujours rêvé de courir sur les pistes du Millenium Stadium, applaudit par la foule. 


-Si tu veux te servir, Peter, tu connais le chemin de la cuisine. Je vais te trouver une tenue, Morgane, tu peux pas sortir comme ça.

 

Je suis Lena jusqu'à sa chambre, qui, contrairement aux autres maisons américaines, est au rez-de-chaussée. Elle a toujours trouvé plus pratique de pouvoir sortir directement par la fenêtre au cas où sa mère verrouillerais sa porte. 


Les murs, peints en gris et en noir sont couverts d'inscriptions et de posters. Sur le lit trône une couverture des Artics Monkeys et des piles de CD traînent un peu partout contre les murs et sur le bureau. Posé sur celui-ci se trouve quelques livres et feuilles volantes. Les affaires de cours de la jeune fille sont rangées dans un placard où se trouve également ses vêtements. Elle se dirige vers celui-ci et l'ouvre. Ce n'est pas la première fois que je viens chez Lena, mais son dressing a encore grandi depuis la dernière fois .


De gauche à droite, des T-shirts et des vestes sont accrochés dans la penderie, les jeans, gilets, jogging, leggins, jupes, et shorts s'empilent partout. Au niveau du sol se trouve deux étagères entières remplis de chaussures de toutes sortes.


-Choisis ce que tu veux, c'est open bar ! Je reviens, je vais vérifier que Peter n'ait pas vidé mon frigo !

 

Lena me laisse seule dans sa chambre, et je reste un moment immobile devant le choix de vêtements et de couleurs qui s'offrent à moi. J'ai l'impression d'être dans un magasin, à la recherche de la perle rare. 


J'opte finalement pour un short en jean, un T-shirt noir à l'effigie de Green Day et des converses noires. C'est certes la nuit et le mois de juin, mais l'été commence tôt en Floride. La chaleur se fait déjà sentir. 


Je sors de la chambre pour retrouver mes amis. Tous deux assis sur le canapé, ils observent l'écran noir de la télé en s'embrassant. Ce qui me donne encore plus l'impression de ne pas avoir ma place ici.


-La télé est éteinte les gars, ça sert à rien de rester là.

 

Leur réaction est plutôt comique. Il faut croire qu'ils ne s'attendaient pas à me revoir aussi vite. Leur tête se cognent l'une contre l'autre et, en se la frottant, ils se décalent chacun d'un côté du canapé, gênés que je les ais surpris.


-Oh, Green Day ? Tu marches seule sur le boulevard des rêves brisés?

 

Malgré tout l'humour placé dans cette phrase, Lena ne voit pas ce que cela signifie pour moi. Le fait que désormais, je sois la seule de ma famille, que j'ai perdu presque tout ce qui comptais pour moi, si ce n'est eux deux. Tant de gens sont morts ou m'ont abandonnée...Enfin, seul Thilas m'a abandonnée, mais cela suffit pour me faire croire qu'ils sont plusieurs à l'avoir fait. Désormais, maintenant qu'ils sont tous partis, tout ce que je pensais pouvoir faire, tout ce j'avais prévu pour mon avenir c'est effondré. Comme dans la chanson. 


-Oui, on peut dire ça, dis-je avec un discret sourire. On y va ?

 

-Ouais, faudrait se dépêcher avant que Larissa revienne.

 

 

++++


Nous marchons dans les rues presque désertes de notre quartier pavillonnaire, direction le nord, et le parc Thelma. Seul grand parc de la ville, il est ouvert à toutes heures, même si peu de gens y viennent la nuit durant la basse saison. C'est le lieu où tout le monde se retrouvent, où tout jeune étant né ici à des souvenirs d'enfance. Comme moi, comme Lena. Mais Peter ne connaît pas le parc comme nous deux. Il vient de la Nouvelle-Orléans et ne vit ici que depuis quelques années. Il n'a pas le même passé que nous ni les même souvenirs.


En poussant la grille en fer, nous pénétrons sur la grande étendue verte. Nous marchons sur le chemin tranquillement, muets comme des tombes. Personne ne sait quoi dire, quoi penser. Cet endroit évoque trop de choses. La première fois que j'ai vu Lena par exemple. C'était il y a longtemps, mais je m'en souviens parfaitement.


Nous arrivons devant le parc pour enfants, où sont regroupés plusieurs balançoires, toboggans, tape-cul et autre jeux pour enfants. Je me souviens d'avoir passé presque toutes mes fins d'après-midi ici, comme tous les autres enfants, parce que le parc est à côté de l'école. 


Lena et moi nous tournons la tête, et, d'un regard commun, la même idée nous passe par la tête. Nous poussons toutes deux Peter sur le tourniquet et commençons à le faire tourner. Il n'a pas le temps de réagir et il s'accroche brusquement au barreau, virant au vert, tandis que nous continuons de courir pour augmenter la vitesse.


-Arrêtez ! Crie Peter. Je...Je vais finir par gerber !

 

Comme deux folles, sachant très bien toutes deux que Peter dit ça pour rire, nous continuons de courir. Au bout d'un moment, je saute et tourne à mon tour, le paysage devenant flou devant mes yeux. Ma tête commence à tourner, et je me laisse tomber sur le sol. Alors que je me relève, le monde penche à gauche et à droite, reprenant son équilibre petit à petit. 


-Hé bah, Morgane, on tient plus sur ses jambes ?

 

Tenant enfin sur place, je vois que Peter est face à moi, me dépassant de quelques centimètres, le sourire au lèvres. 


-Rappelle-moi qui allait gerber ?

 

-Ok, tu marques un point.

 

Par derrière Peter, je vois Lena s'approcher, un air moqueur sur le visage. Son regard va de Peter à sa prochaine farce. Je lui rends son clin d'oeil.


-Quoi, mais qu'est ce que...

 

Avant qu'il est pu réagir, Lena lui saute par derrière et je les pousse tout deux en même temps dans le bac à sable. La poussière vole dans les airs et je me protège les yeux. Peter crache un peu de sable, et Lena aussi. Ils sont tout deux en train de rire, et, en les voyant, l'envie me vient aussi. Mais au fond, je n'ai pas le cœur pour faire ça. Je ne peux tout simplement pas. A cause de Capucine, de Liam, de Dean, de mes parents. Je ne peux pas rire alors qu'ils ne sont pas là, qu'ils ne pourront jamais plus...


Je sais que je ne devrais pas évoquer le passé, que ce n'est pas le bon moment, que Peter et Lena sont en train de partager un moment de bonheur, qu'ils sont heureux, mais j'ai besoin d'en parler, de pouvoir savoir ce qu'il s'est passé et de partager ma peine. Même si je ne le dois pas.


-Lena...

 

Elle relève sa tête du sable et du petit tas – ressemblant vaguement à un volcan - qu'ils avaient commencé à former tous les deux.


-Oui ?

 

En voyant son sourire rayonnant, j'hésite un instant, plus si certaine que ce sera bénéfique pour moi de parler de ce que je ressens.


-Tu te souviens du jour où nous nous étions rencontrées ?

 

-Bien sûr ! Comment je pourrais l'oublier ? J'avais failli te casser un bras !

 

C'est vrai que Lena était déjà assez brutale, même enfant. Elle a toujours été énergique et hyperactive, ne tenant jamais en place. C'est peut-être à cause de son tempérament que j'avais eu envie de l'approcher. Enfin, lors de notre rencontre, c'était elle qui était venue me chercher des problèmes et ça avait fini en bagarre, jusqu'à ce que nos pères respectifs nous séparent enfin. C'est étrange la façon dont commence les plus grandes amitiés. Mais en même temps, Lena n'est pas de ces filles qui s'ouvrent à tout le monde, simplement qui aime se montrer et faire savoir aux autres quelle est toujours présente et en vie. C'est pour ça qu'on l'aime. Pour ses bêtises et sa folie. 


Peter, lui, a toujours été plus réservé, plus calme et plus distant. Enfin, c'est ce que j'ai pensé en le rencontrant la première fois, jusqu'à ce que Lena me dise qu'ils s'étaient rencontré au commissariat. Même si Peter ne voulait pas en parler, Lena nous a quand même raconté ses problèmes familiaux et sa fugue. J'ai revu immédiatement mon premier jugement. Peter est en réalité plutôt discret, certes, mais il peut se montrer très turbulent et violent, lui aussi. Il a eu beaucoup de problèmes, mais, comme Lena, il n'aime pas en parler, et préfère se cacher derrière son sarcasme plutôt que de parler de ses peines.


Contrairement à moi. J'ai toujours eu la langue trop pendue, ne sachant jamais garder ce que je ressens et ce que je pense. Plus d'une fois, j'ai failli dire aux autres que Thilas et moi étions ensemble, malgré son souhait que cela reste secret. Souhait que je n'avais jamais compris d'ailleurs.


Quoi qu'il en soit de nos différents caractères, ce n'est pas avec eux que je dois évoquer le passé. Mais je me suis déjà lancé, il faut que je trouve une solution de secours.


-Je repensais à nos pères, je sais pas pourquoi...Le tien va bien ?

 

Aïe...A voir la tête de Lena, c'était un sujet à éviter. Soit parce qu'elle pense à mes parents, partis, soit parce qu'elle a, une fois de plus des problèmes familiaux.


-Ça va, ça va. Il a toujours autant de boulot et rentre toujours aussi tard. Le commissaire est débordé, et ça se ressent sur les autres policiers. Et puis, avec Larissa à la maison, j'ai l'impression de pas être née dans la bonne famille. Mais que veux tu, on fait avec ! 

 

Elle se mord la lèvre durant un instant, hésitante. Finalement, c'est Peter qui se lance.


-Et toi...tu...tu t'en remets ?

 

Je ne sais pas si je m'en remettrai un jour. Même lorsqu'on a soixante ans, perdre ses parents est dur. Alors savoir qu'on a déjà tout perdu alors que l'on a que presque seize ans...enfin, dix-huit maintenant.


-Non, pas vraiment. Je ne sais pas si j'y arriverais. Mais ne vous en faites pas, je tiens le coup.

 

Lena sort du bac à sable et s’époussette pour faire tomber les derniers grains de son top. Elle s'assoit à côté de moi et me sers dans ses bras.


-T'en fais pas, nous, on sera toujours avec toi, c'est promis.

 

Peter nous rejoins et fait de même.


-Je le promets aussi.

 

Nous voilà, trois gosses avec des problèmes familiaux : le garçon aux parents divorcés qui l'ont abandonné, la fille sans-famille et la fille dont la mère est morte d'un cancer, dont le père est trop absent et que la belle-mère hait. Trois gosses main dans la main, prêts à tout pour se soutenir.


-Moi aussi, je promets, de rester avec vous, quoiqu'il arrive.

 

Un silence s'installe entre nous, coupé au bout d'une demi-minute par Lena.


-Bon, c'est pas tout ça, mais je vais voir si je passe encore dans ce toboggan bleu.

 

Je la regarde partir grimper l'échelle, et nous la suivons. Une fois qu'elle est assise en haut, nous la poussons avant de nous jeter à notre tour sur la pente. Nous glissons dans le tunnel, prenant les virages, criant comme des imbéciles heureux. 


Toujours ensemble.



++++


-Je vais vous laisser tous les deux, faut que j'aille quelque part.

 

Nous venons tout juste de sortir du parc. Il doit être un peu plus de minuit et les rues sont complètement vides dans le quartier pavillonnaire. Toujours souriants, moi y compris, nous marchons tranquillement. Devant moi, Peter et Lena se tiennent la main et se parlent comme si je n'étais pas là. Il est temps pour moi de les laisser seuls, en couple, et d'aller voir ailleurs.


-Où est ce que tu comptes aller ? Si tu cherches un endroit où dormir cette nuit, j'ai un canapé lit dans mon salon, me propose Peter.

 

-C'est gentil à toi, mais j'aimerais d'abord aller faire un tour. Ne t'en fais pas je rentrerais au plus vite. 

 

-Mais où est ce que tu veux aller à cette heure ?

 

Lena lui lance un regard en biais. J'y lis très bien le « N'insiste pas. » qu'elle essaie de faire passer à Peter. Celui-ci lève les yeux au ciel.


-Ah ça va, j'ai le droit de m'inquiéter !

 

-C'est pour moi que tu dois t'inquiéter pauvre idiot !

 

Ils s'embrassent, me donnant encore plus l'impression de ne pas devoir être ici.


-Mais moi j'ai le droit de m'inquiéter pour mon petit escargot !

 

Je la serre dans mes bras.


-Tu me promets qu'on se voie demain ?

 

-Bien sûr ma petite panthère ! 

 

On se quitte au détour d'un chemin, et je commence à marcher vers l'est de la ville sans trop savoir pourquoi je souhaite aller dans cette direction. Suis-je vraiment sûre de ce que je vais faire ? 


Au bout de dix minutes, je quitte le quartier résidentiel pour me retrouver à la limite du second quartier d'affaires de la ville. Je tourne à gauche vers la forêt, et pousse enfin la grille du cimetière.


Mais pourquoi suis-je venue ici ?


22/08/2015
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