Dark Night

Dark Night

~ Chapitre 2 ~


~Chapitre 2 ~

Chapitre 2 
Renaissance

 

 

 

II n'y a plus que le silence. Rien qui ne puisse être décrit. Que ce vide intense, inconnu et sans limite. Je ne vois rien, n’entend rien, ne ressens plus rien. Je ne fais que flotter dans ce vide interminable et sans fin. Où suis-je ? Quel est cet endroit ? Depuis combien de temps suis-je ici ? Suis-je morte ? Suis-je en vie ? Qu'en sais-je ? Je n'ai aucun point de repère, aucune idée de là où je suis, aucune idée de quelle heure il peut bien être. Je suis juste perdue dans cet univers sans couleurs, sans émotions et sans raisons.

 

Mes pieds se posent sur une surface inexistante et d'une matière étrange. Je marche sur ce vide et avance lentement dans l'obscurité, cherchant une sortie.

 

Une vive lumière m'apparaît alors, au loin. Mes jambes accélèrent le pas, jusqu'à courir pour rejoindre cette lumière. Peut-être aurai-je un indice là-bas, un indice sur ce lieu sans fin.

 

Là-bas, il n'y a que deux escaliers. L'un montant vers un ciel noir, l'autre descendant dans les profondeurs éclairées. Deux panneaux indiquent les directions, mais je n'arrive pas à les lire, comme si j'étais dyslexique. Les caractères se mouvent et m'empêchent de les comprendre. Je ne sais pas où je suis et rien ne me permet de le savoir. Je m'assois par terre et fixe les escaliers d'un air perdu. Je n'ai plus la notion du temps, et je suis incapable de dire combien de temps je reste assise avant de voir apparaître les deux silhouettes.

 

L'une est masculine, l'autre féminine. Quand je les vois dans la brume lointaine, je n'arrive pas à savoir de qui il s'agit. Elles s'approchent lentement, flottant au dessus du sol de sable noir. Arrivées à ma hauteur, je reconnais mes amis, Liam et Capucine. Ils ont tous deux l'air fatigué. Leur visage habituellement si rieur et joyeux, et pâles et sans émotion. J'ai l'impression d'avoir face à moi deux cadavres revenus de l'au-delà.

 

« Choisis bien. »

 

Ces deux mots résonnent dans l'espace et le temps, sans qu'aucun de nous ne les aies prononcés. J'ai beau observer le visage méconnaissable de mes meilleurs amis, ils restent neutres et ternes. Ai-je rêvé ? Ils se sont gravés dans mon crâne comme si je les avais pensés, sans que je ne les pense.

 

« Venges-nous, et deviens celle que tu as toujours dû être. »

 

Sans qu'aucun mot ne franchisse ses lèvres, Capucine m'a transmis ces mots. Je ne comprends toujours pas ce que ces paroles signifient, mais elles doivent bien avoir un rapport avec ses escaliers. Je ne sais pas ce qui me gêne le plus dans cette phrase. Le fait que mes meilleurs amis soient conscients d'êtres morts, qu'ils pensent que leur mort n'est pas un accident mais un meurtre, ou qu'ils disent que je doit devenir celle que j'aurais toujours dû être. Pourquoi disent-t-ils cela ? Je suis moi, Morgane Blacks, simple fille de bientôt 16 ans, vivant à Henrisson City depuis sa naissance, aux États-Unis en Floride, avec sa famille. Enfin...plus vraiment...Mes parents sont morts, ainsi que mon petit frère. Comme le reste de ma famille. Je suis la dernière Blacks. La dernière...

 

« Choisis-bien, tu ne pourras pas faire marche arrière. »

 

Je ne suis pas d'humeur à savoir si je dois choisir de venger mes amis ou les rejoindre. Je veux juste rester ici, dans les Limbes, et ne jamais me réveiller. Je ne veux pas voir ce monde si noir et cruel continue de s'attaquer à moi jusqu'à ce que je ne puisse plus le supporter.

 

« Liam, il y a un problème...je »

 

Capucine est soudainement aspirée dans les airs et elle disparaît dans les cieux gris et noirs. Plein d'incompréhension, Liam et moi observons le ciel orageux qui vient d'enlever notre meilleure amie. Une tempête éclate, et nous nous retrouvons rapidement trempés de la tête aux pieds.

 

« Qu'est ce que c'était ?»

 

Liam et moi continuons de fixer le ciel d'un air perdu. Où est Capucine ? Pourquoi s'est-t-elle envolée ? Je vois Liam secouer la tête. La leur d'inquiétude s'envole de ses yeux et il me regarde.

 

« Dans tous les cas, tu dois faire un choix. Voilà trop longtemps que tu es ici. Mais celui-ci n'appartiens qu'à toi. Alors choisis comme tu l'entends, mais tu ne pourras pas faire marche arrière. »

 

Comment peut-il penser que j'arriverais à choisir ?

 

Maintenant que j'y pense, il y a un chemin qui me permettra de faire marche arrière, et c'est celui-ci que je vais choisir.

 

Lentement, je me dirige vers l'escalier qui s'envole vers les cieux encore orageux. Les larmes de pluie tombent encore sur le sol, rendant les marches glissantes. Pendant une fraction de seconde, l'hésitation me prend. Mais je ne renoncerais pas. J'ai fait mon choix, et je m'y tiendrai.

 

-Merci pour tout Liam. Je promets de ne jamais t'oublier et de me souvenir de toi jusqu'à mon dernier souffle.

 

Son sourire est la dernière chose que je vois de lui avant de grimper vers le ciel.



++++

 

Mes paupières s’entrouvrent. La lumière éblouit mes rétines et je referme les yeux le temps de m'habituer à cette nouvelle clarté. Je laisse mes paupières closes un instant, pour ressentir la douceur des draps sur ma peau. Une légère brise passe, comme si une fenêtre était ouverte.

 

Une fois que je rouvre complètement les yeux, je me rends compte que je suis dans une chambre toute blanche. Mes draps, blancs aussi, recouvrent mon corps et ma tenue d'hôpital. J'essaie de me redresser, mes tous mes muscles semblent morts. Je suis contrainte de me rallonger.

 

J'entends une porte s'ouvrir, et le pas léger d'une femme. Quand elle arrive à ma hauteur, je vois sa chevelure blonde osciller de gauche à droite au rythme de sa marche. Sa blouse blanche épouse ses formes généreuses et recouvre une robe grise. Elle lance des regards de gauche à droite sur les autres lits, mais, sur le mien, elle s'arrête brusquement et pousse un cri. Elle ressort en courant de la pièce.

 

Je reste un moment perplexe quant à cette brusque apparition, mais je décide d'essayer de me relever. Au bout de quelques essais, j'arrive enfin à m'asseoir avec difficultés en m'appuyant contre le mur. C'est ce moment que choisis l'infirmière pour revenir, accompagnée de ce que je suppose être un médecin.

 

Il porte une paire de lunettes en demi-lune sur son long nez. Derrière les verres, ces deux yeux gris brillent d'un regard étincelant. Il fait un peu peur, sa calvitie et ses sourcils tordus bizarrement n'aide en rien à me rassurer. Il s'assoit sur le lit et le matelas se penche avec son poids.

 

-Je vois que tu t'es réveillée.

 

Sans blague.

 

-Comment te sens-tu ?

 

J'ai envie de lui balancer tout un tas d'obscénités dans sa face de rat. Comment je me sens ? Comme quelqu'un qui vient de faire un tour dans Limbes où elle a croisé ses meilleurs amis morts dans un accident de voiture, et où elle a atterri après que sa famille soit morte dans un incendie. Ah oui, j'oubliai que j'ai été lâchement abandonné par mon petit ami. A part ça, je suis en pleine forme, allons faire du saut à l'élastique !

 

Voyant que je ne réponds pas à la question, il choisit d'en poser en une autre.

 

-Soit. Peux-tu m'expliquer ce qu'il t’est arrivé il y a deux ans ?
-Deux ans ?!

 

Comment est-ce possible ? Comment ai-je pu être dans le coma aussi longtemps ? C'est impossible ! Et pourtant...Liam a bien dit que j'étais là depuis trop longtemps...mais quand même ! Deux ans ! Je n'arrive pas à y croire !

 

-Oui, deux ans. Peux-tu me dire comment tu as fait pour survivre à l'incendie ? Cela pourrait faire avancer la science.

 

Se rend-t-il compte à quel point chacun de ces mots me choquent et me brisent ? A-t-il idée de ce que j'ai vécu ce soir là ? Autant répondre à sa question. La réponse ne le satisfera pas, j'en suis certaine.

 

-Le feu a commencé à brûler tout le cabanon, puis il s'est attaqué à ma jambe...

 

Il hoche la tête. Je lis dans ses yeux qu'il souhaite que j'en vienne au fait.

 

-Et, quand j'ai cru mourir, une sorte de bouclier est apparu au-dessus de moi et m'a sauvé la vie.

 

Il hoche à nouveau la tête, et il fait signe à l'infirmière de le rejoindre dehors. Je reste seule dans la pièce, avec pour unique présence les autres filles dans le coma. Je me demande bien qu'elle peut être leur histoire, depuis combien de temps elles sont là, et pourquoi elles sont là.

 

Derrière la porte, je vois l'infirmière et le médecin s'agiter en faisait des grands gestes. La porte fermée ne me permet pas de savoir ce qu'ils disent, mais les regards de la jeune femme qui se tourne vers moi m'indiquent que le sujet principal de leur conversation ne m'est pas inconnu.

 

Au bout de cinq minutes, le médecin revient, tout sourire suivi d'un peu plus loin par l'infirmière qui elle, à l'air plus apeurée. Ses yeux marron me lancent des regards déterminés, à quoi, je ne vais pas tarder à le découvrir.

 

Le médecin me prend la main droite et la plaque sur le matelas. Au même instant, l'infirmière me prend la main gauche et plante une seringue dans mon bras.

 

-Qu'est ce que vous faites ?

 

Au bout de quelques secondes, tous mes muscles se relâchent. Je n'arrive plus à faire un seul mouvement. C'est une sensation bizarre que d'être paralysée. Vous ne pouvez plus bouger, et vous rester dans l'unique position que vous connaissez, coincé.

 

La jeune femme me soulève comme si j'étais aussi lourde qu'une plume. Elle quitte la pièce et nous nous retrouvons dans un long couloir d'hôpital, blanc mais, étrangement, vide. Je suis peut-être la seule personne consciente à cet étage. Elle m'emmène dans l'ascenseur et je vois les lumières des étages défiler par la fente entre les portes. Avec un bip sonore et une légère secousse, l’ascenseur se stoppe et les portes s'ouvrent. Nous sommes dans un parking souterrain où nous attend une camionnette. Un homme avec une chemise à carreau s'approche de moi et l'infirmière me laisse dans ses bras. Dans la position où il me tient, je ne peux voir que le sol de goudron.

 

Il m'emporte dans la camionnette où il me plante à nouveau une seringue dans le bras. Cette fois-ci, elle m'endort.

 

Je sens encore les vibrations des roues sur l'asphalte, et les soubresauts à chaque arrêt aux feus. Je reste pourtant incapable d'ouvrir mes paupières.

 

 ++++

 

Je suis dans une chambre vide. Le silence emplit la pièce et je ne peux m'empêcher de forcer ma respiration pour avoir l'impression qu'il se passe quelque chose.

 

Je me redresse dans mon lit et observe les alentours. Dans la pièce, il n'y a que des murs blancs, et aucune fenêtre. La seule source de lumière est l'ampoule fixée au plafond, à plus de 3 mètres du sol. Les seuls ameublements consistent en un lit, une armoire et un miroir.

 

J'essaie de me lever, et cette fois-ci, mes jambes réussissent à me soutenir, même si cela leur demande plus de force que je ne le pensais. Je tente quelques pas, et je manque de tomber sur le miroir. Je me retiens de justesse à l'armoire et observe mon reflet dans le miroir. Je suis méconnaissable.

 

Mes cheveux sont sales, gras et en bataille. D'habitude, ils tombent sur mes épaules en ondulant, noir ébène. Je suis pâle et plus maigre que jamais. On croirait voir une anorexique. Mes joues sont creuses et mes lèvres gercées. Je suis vêtue de la même tenue que toute à l'heure, une chemise de nuit blanche qui m'arrive en-dessous des genoux et je suis pieds nus. La seule et unique chose qui me dit que c'est bien moi, ce sont mes yeux. Verts émeraude. Malgré mes changements, ils pétillent toujours de malice.

 

La porte de l'armoire sur laquelle je m'appuie depuis tout à l'heure s'ouvre sous mon poids et je glisse par terre. L'armoire est vide, sauf si les araignées et la poussière compte. Sinon, elle est vide.

Je donnerais n'importe quoi pour de la nourriture. Mon ventre gémit de n'avoir rien eu pendant ces deux années. Ma bouche est sèche et j'ai soif. Il faut que je sorte, mais la porte est fermée.

 

Qu'est ce que je raconte ?

 

Je m'avance vers la porte en m'appuyant contre le mur. Je tends la main vers la poignée quand j'entends une clé tourner dans la porte. Je recule et trébuche dans ma précipitation. Je me retrouve de nouveau assise sur le lit.

 

-Vous êtes réveillée ? Bien c'est l'heure de votre examen.

 

Un examen ? Je suis dans l'internat de l'horreur, c'est ça ?

 

L'homme n'a pas l'air amical. Ses yeux bruns emplis de cruauté trahissent son sourire qui se veut chaleureux. Il doit avoir la trentaine. Une mèche grise perce au milieu de sa chevelure châtaine. Il me prend la main et me tire dehors. Les couloirs sont vides, et nous les traversons comme des ombres. Sous mes pieds, le carrelage est glacé, et j'ai froid aux jambes. Marcher trop longtemps n'est pas vraiment une bonne chose pour l'instant.

 

Nous arrivons dans une salle d'attente, remplie de jeunes de 10 à 18 ans. L'homme verrouille la porte après mon passage. Les regards des adolescents se tournent immédiatement vers moi, et je reste un instant immobile sur le seuil de la pièce. La plupart ont l'air plus âgé que moi et j'ai 15 ans.

 

Ils ont beau ne pas avoir le même âge, ils ont tous un point commun entre eux, mais je n'arrive pas à trouver lequel. Ils détournent le regard avant que j'ai pu comprendre de quoi il s'agissait.

 

Et puis on entend un prénom – Cassandra White, je crois. Une jeune fille blonde se lève, d'à peu près le même âge que moi. Ses longs cheveux raides sont noués en tresse dans son dos. Elle pénètre dans la pièce d'à côté et ne reviens pas.

 

Les noms défilent, et je reste assise dans mon siège inconfortable en me demandant quand viendra mon tour. Chaque fois, les adolescents sont dos à moi, et je n'arrive pas à voir leurs yeux.

 

A un moment, un certain Freddie Salter se retourne pour récupérer son carnet de dessin qu'il triturait dans tous les sens depuis une demi-heure. Et là, j'aperçois ses yeux gris dans laquelle brille une lueur de folie.

 

La folie.

 

Je suis entourée de gens fous ! Ils m'ont envoyés dans l'asile pour jeunes d'Henrisson City ! Comment ont-ils pu me faire ça ? Je ne suis pas folle ! Je ne suis pas folle, je le sais. Je n'ai pas ma place ici. Je ne suis pas comme tous ces jeunes.

 

J'essaie de rester calme, mais je suis incapable de maîtriser mes émotions. J'ai trop peur qu'ils ne fassent quelque chose, qu'ils déclenchent une bagarre ou qu'ils se mettent à frapper un mur avec leur tête. Que suis-je censée faire dans ses cas-là ? Et s'il y en avait un qui avait déjà tué quelqu'un ? Peut-être qu'il y en a un ici, qui se balade avec un canif dans ses poches !

 

« Reste zen, Morgane, reste zen »

 

Je pense trop, il faut que je me calme. Ce sont certainement d'autres gens comme moi, qui sont ici par erreur. Je sortirais bientôt, ils se rendront bien compte que je ne suis pas folle.

 

J'entends alors mon nom, comme dans un rêve, et je me lève. Je me dirige vers la porte et lance un dernier regard à la salle aux murs crème. Une dizaine d'adolescents sont encore assis ici, tant de jeunes dont la vie a été brisée, déchirée par leurs problèmes quotidiens. Tant de pauvres mineurs incompris.

 

Je remarque alors un jeune dans un coin, qui lit un des magazines auxquels personne n'a touché. Il lève la tête une seconde pour regarder les alentours, et je le reconnais. Ses yeux dorés et ses mèches brunes en bataille, il ne peut s'agir que d'une personne.

 

-Thilas ?

 

++++ 

 

Comment est-ce possible ? Que ferait-t-il ici ? Que je sache, Thilas est la personne la plus saine d'esprit que je connaisse, il ne pourrait pas être ici. Mais ses yeux...ils ne peuvent pas appartenir à quelqu'un d'autre.

 

Je m'assois au bureau. Face à moi se trouve une femme un peu ronde, collée à son fauteuil en cuir, ses cheveux couleur chocolat accrochée en un chignon serré sur le haut de son crâne. Ses yeux bleus me lancent un regard sérieux et légèrement dérangeant.

 

-Mademoiselle Blacks, je vous demanderai d'être plus rapide la prochaine fois pour obéir aux ordres. Il ne faudrait pas que vous désobéissiez aux lois de cet a...de ce lieu dès votre premier jour.

 

Ils ne doivent pas avoir le droit de dire asile pour éviter que les patients réalisent qu'ils sont fous. Cela pourrait avoir des conséquences désastreuses sur leur comportement.

 

-Puisque c'est votre premier jour ici, nous allons vous faire passer des tests et nous détermineront votre cas.

 

Oh, mais ça prend une tournure intéressante ! Elle devrait jouer son rôle de psychologue et me poser de simples petites questions. On se rendra rapidement compte que je ne suis pas folle et on me laissera sortir d'ici.

 

Elles posent quelques questions anodines sur ma vie, si je me plais à Henrisson City, si j'ai déjà voyagé, si j'aime mon frère. Comment sont mes amis, si je m'entends bien avec eux. J'ai l'impression que c'est interminable. Toutes mes réponses sont positives, et je pense m'en être bien sortie, jusqu'à celle-ci.

 

- Avez-vous subi un choc récemment ?

-J'ai perdu ce qu'il me restait de famille, ainsi que mes deux meilleurs amis. Et je viens d'apprendre que j'ai perdu deux ans de ma vie en étant dans le coma.

 

La réaction de la femme est presque drôle tellement elle en est excessive. Ses yeux s'ouvrent si grands que l'on dirait ceux d'un bébé et ses pupilles se dilatent pour prendre toute la place de ses iris. Sa bouche s'ouvre si grand que l'on dirait qu'elle veut manger un ananas en entier et sa main tremble en couchant quelques mots sur le papier du bloc notes.

 

Soudain je réalise. Je suis vraiment seule. Je n'ai plus aucune famille. Plus aucun autre Blacks n'est en vie. Je suis la seule, l'unique, la dernière Blacks encore vivante.

 

Et si deux ans se sont écoulés...Je suis censée avoir... 17 ans ? Impossible. Et je vais bientôt être majeure à part entière. Je n'ai pas du tout l'air d'être une future adulte. On dirait juste une jeune fille en pleine crise de croissance.

 

La femme face à moi continue de parler, mais je ne l'écoute plus. Je suis perdue dans mes pensées, essayant de rattraper le temps perdu du mieux que je peux.

 

-Quel jour sommes nous ?
-Je vous prierai de ne plus me occuper la parole. Et nous sommes le 14 juin si vous voulez savoir.

 

Le 14 juin...Mon anniversaire est dans un peu plus d'une semaine...Tant et si peu à la fois désormais. A quoi sert un anniversaire si personne n'est là pour vous le souhaiter ?

 

J'écoute un peu plus attentivement ce que me dit la femme. Elle dit que je devrais passer un nouvel examen bientôt, que ça ne se passera pas avec elle et que je pourrais bientôt rentrer chez moi, et qu'on me trouvera un oncle ou une tante chez qui habiter.

 

J'aimerais lui dire que je n'ai plus de famille, mais je me dit qu'elle n'a pas besoin de le savoir. Elle me congédie gentiment et me demande de sortir par l'autre porte. Il faut que je trouve Thilas. Lui seul peut m'expliquer ce qu'il sait passé, même si je ne veux pas le voir.

 

Je me retrouve dans un nouveau couloir vide, aux murs grisâtres et avec un faux plafond. Il n'y a pas une seul âme d'un bout à l'autre, si ce n'est moi. Un long silence s'installe, entrecoupé du bruit de mes pas sur le sol gris. Je ne sais pas vraiment où je vais, et tous les couloirs se ressemblent. Je suis incapable de dire si je suis déjà passée par là, où s'il s'agit d'un autre couloir. La seule différence se trouve au niveau des portes, qui indiquent toutes un nombre différent. Malheureusement, avec mon intelligence débordante, je n'ai pas pensé à regarder le numéro inscrit sur la porte de la mienne.

 

Au bout de plusieurs minutes, je finis pas m'avouer totalement perdue. J'ai dû tourner une centaine de fois à gauche et à droite, et je suis bien incapable de retrouver mon chemin. Il faut juste que je trouve quelqu'un, mais c'est peine perdu. Il n'y a personne.

 

-Excuse-moi ! Je ne t'avais pas vue !

 

Tombées toutes les deux par terre, j'aide la jeune fille face à moi à se relever. Elle rejette ses cheveux blonds en arrière et son visage m'apparaît alors. Je reconnais Cassandra White, la jeune fille de tout à l'heure. Nous sommes comme deux opposées, elle grande, blonde aux cheveux raides, avec deux grand yeux bleus, et moi, petite, brune aux cheveux ondulés et aux yeux verts. Si différente, et pourtant, je vois bien qu'elle n'est pas non plus une folle. Nous sommes deux à ne pas avoir notre place ici. Et je vois bien qu'elle aussi la remarqué.

 

-Je suis Morgane, et toi, tu dois être Cassandra ?

 

Elle hausse un sourcil, se demandant comment j'ai pu le savoir, puis, avec un léger haussement d'épaule, hoche la tête.

 

-Tu pourrais m'aider à trouver quelqu'un ? Je suis un peu perdue et je ne connais personne...

 

Elle me jette un regard noir et se relève.

 

-Au pire j'ai rien à faire. Tu cherches qui ?

-Un mec qui s'appelle Thilas Grey.

 

Elle me jette un regard en biais, comme si c'était étrange de chercher son ex petit ami.

 

-Connais pas. C'est peut-être un nouveau. Normalement je connais tout le monde ici. Mais je crois qu'il n'existe tout simplement pas.

 

Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais je sens que je vais aimer cette fille. Elle n'a pas l'air vraiment sociale, mais nos différences peuvent s'avérer être des atouts pour nous entendre.

 

J'entends des pas derrière nous et je me retourne. Derrière moi se trouve le jeune homme qui m'a accompagné pour « l'examen »

 

-Mademoiselle Blacks, pouvez vous m'expliquer la raison de votre présence ici ? Retournez immédiatement dans votre chambre !

 

Je cherche du secours auprès de Cassandra, mais celle-ci s'est volatilisée, comme une ombre.


-Je me suis perdue, je mens, même si un en partie vrai. Vous pouvez m'aider à regagner ma chambre ?

 

Avec un soupir, il me fait signe de le suivre, et il retrouve la porte de ma chambre comme si le chemin était éclairé par des milliers de lanternes. Je ne pense pas réussir à m'y habituer un jour.

 

La porte est verrouillée après mon passage, et je me retrouve au même endroit que tout à l'heure, seule une fois de plus. Je m'assois sur le lit et observe le vide intersidéral de mon armoire, toujours ouverte depuis la dernière fois. Une araignée se balade sur la troisième étagère, et je l'observe avancer sur ses 8 pattes d'un bout à l'autre de la planche, rapide. Je ne pensais pas m'ennuyer un jour au point d'observer une arachnide marcher et faire sa toile. Mais, je dois avouer que c'est magnifique de la voir tisser ces fils aussi minutieusement.

 

Je ne saurais dire combien de temps se sont écoulés, mais la porte s'ouvre à nouveau. Cette fois-ci, c'est une femme rousse qui m'accompagne jusqu'à un réfectoire. Et j'ai enfin croisé des gens dans le couloir, certains seuls et d'autres non, mais tous silencieux.

 

Le réfectoire consiste en une cafétéria banale, quoique plus grande que la moyenne. Plusieurs dizaines de jeunes sont déjà assis à des tables, la plupart seuls, et je cherche parmi eux la chevelure brune de Thilas, sans le trouver.

 

Je fais la queue parmi les autres, observant l'entrée principale en espérant pouvoir le voir entrer. A la suite des adolescents, je me sers de notre repas et des couverts – en plastique, et non en métal, ce qui confirme bien ma crainte des crises de folies de certains – et rejoins une table vide sans n'avoir pu le trouver.

 

-Je peux m'asseoir ?

 

Cassandra pose son plateau sur la table avant même que j'ai pu répondre, comme si elle savait d'avance que ma réponse serait positive. Ou juste par simple impolitesse.

 

-Comment tu as fait tout à l'heure pour... ?
-Chut, dit-elle en lançant un regard aux adultes dispersés un peu partout dans la salle. J'ai mes secrets et mon intimité, j'aimerais bien les garder pour moi, si tu vois ce que je veux dire. Ils n'aiment pas trop que nous parlions entre nous.

 

Je fais comme si je n'avais jamais vu Cassandra auparavant et je continue de manger. Ils détournent enfin le regard et elle me glisse un papier dans la main.

 

-Pas ici, dans ta chambre.

 

Elle se lève et pars déposer son plateau. J'attends un peu pour éviter tous soupçons et le dépose à mon tour. Une fois dehors, je réalise que je ne sais toujours pas me repérer, et je demande à un des surveillants de m'accompagner. Il rigole, alors que je ne vois pas vraiment où est l'humour dans un lieu pareil.

 

Une fois dans ma chambre, je commence à déplier ma lettre, mais le papier m'échappe des mains et glisse sous le lit. En me baissant pour le chercher, je tâtonne et tombe sur un objet circulaire, envahi par la poussière. Quand je le sors, je me rend compte qu'il s'agit d'une lampe torche, qui m'a l'air hors d'usage. Je souffle un peu dessus pour enlever la poussière et les fils de toiles d'araignée. En appuyant sur l'interrupteur, je suis étonnée de voir la lumière s'allumer.

 

Je retourne chercher la lettre et la lit.

 

« Si c'est bien ton premier jour ici, il devrait te placer en test et laisser ta porte ouverte. Je te conseille de faire donc attention quand tu sortiras pour ne pas être vue. Si tu suis bien mes instructions, il ne devrait pas trouver que tu es un cas grave. Rejoins-moi ce soir, à 21 heures dans la salle informatique. Tel que j'ai pu le comprendre, tu mettrais des heures à arriver, donc je t'ai fait un plan que tu trouveras au dos de cette feuille. J'ai des choses très importantes à te dire alors ne reste pas enfermée dans ta chambre. Il se pourrait que j'aie trouvé ce que tu cherches.

Cassandra, ta presque nouvelle amie.»

 

Je regarde le plan, qui me sera bien plus utile à l'avenir. Ca ne devrait pas être trop difficile à trouver. Alors que je m'apprête à sortir, je me rappelle de la lampe, et je la récupère. Ca pourra toujours être utile.

 

Discrètement, je pousse la porte de ma chambre et sors dans le couloir.



    10/06/2015
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